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curiosité, on les dérobe, pour les conserver, à tous les rapports utiles qui en faisaient le prix, et qu’on leur ôte ainsi l’éminente propriété qu’elles ont de plaire à l’âme et à l’esprit, pour y substituer la faculté si inférieure de plaire aux yeux et de flatter les sens.

Tout Art, on en convient, est susceptible de procurer ces deux sortes de plaisirs, et doit même les réunir. Mais si, par l’emploi qu’on fait de ses ouvrages, on semble donner la préférence au plaisir sensuel, on pervertit à la fois le goût du public et le talent de l’artiste. Le public n’est que trop porté à jouir des arts par les sens, et l’artiste ne se conforme que trop facilement à cet instinct vulgaire, lorsqu’il renferme ses efforts dans le cercle étroit d’une futile exécution, propre seulement à amuser des sens peu cultivés, et qui ne demandent à l’Art que des curiosités dispendieuses.

Dans l’intérêt bien entendu des Arts, le plaisir qu’on doit en exiger est précisément celui qui rend les ouvrages tout à fait indépendans de ces caprices du goût, d’où les curiosités tirent leur valeur. C’est le plaisir de l’esprit. Pour l’obtenir, il faut avant tout que l’artiste se forme l’idée la plus élevée des Arts, en les considérant comme des miroirs où doivent se réfléchir et se concentrer toutes