maturge qui connaît le mieux la scène, proposition qui, à la rigueur, pourrait être contestée, mais que nous accordons bien volontiers, il nous semble que la critique aurait mieux fait d’établir que la science des planches c’est le génie au théâtre. Nous convenons que si elle était venue à bout de prouver cela, M. Dumas aurait pu logiquement se trouver un grand homme ; mais si la connaissance de la scène existe à un très-haut degré chez des hommes d’un talent très-douteux et d’une renommée fort compromise, nous ne voyons pas ce que la réputation de M. Dumas peut gagner à un avantage qui en laisse tant d’autres dans l’oubli. Dans tout ceci, c’est donc la critique qui s’est fourvoyée ; elle a pris le raisonnement par la queue, et il ne faut pas s’étonner si la conclusion ne conclut rien.
« Les individus, comme les assemblées, ont plusieurs côtés par lesquels on peut dominer leur pensée et s’imposer à leur volonté : ainsi le tableau des affections privées, l’orage ou l’harmonie domestique ; ainsi les grandes passions et les grandes idées ; ainsi les résultats généraux de l’histoire, ou les retours que la philosophie enseigne à l’âme à opérer sur elle-même ; ainsi enfin des mœurs nobles et vraies, le charme d’un beau langage, la poésie, la religion, voilà autant de conducteurs qui mettent en communication un grand poëte et une foule. À côté de tous ces sentiments si élevés et si féconds, et qui se trouvent plus ou moins développés suivant le siècle, le peuple, la classe, il y en a un autre, actif, profond, plus général encore : c’est la curiosité. Mais si la curiosité est un élément moral, universel, qui se trouver également chez tous les hommes, qui est susceptible de s’irriter, de s’exalter, et capable de faire éprouver une vive anxiété et une vive joie, il faut convenir que la curiosité est, en elle-même, une passion sans but généreux, une passion égoïste, avide, stérile, un désir stupide de connaître pour connaître, et pour satisfaire sa brutale impatience par-dessus tout. »
« Or, la question actuelle, au théâtre, consiste à savoir si l’on y posera l’homme selon ses sentiments dignes, élevés, socialement utiles, ou selon son irritabilité nerveuse et sa curiosité ; si l’on bouleversera une grande salle au profit de toutes les nobles choses que la civilisation dépose dans les cœurs et dans les têtes, ou si l’on galvanisera une pauvre assemblée, pour la renvoyer pâle et souffrante, ivre d’éther ou d’opium ; si les personnages d’un drame seront poètes ou gladiateurs, s’ils se rapprocheront de Dieu par la pensée ou de la tête par l’action ; s’ils parleront ou s’ils marcheront ; si la pièce sera littéraire ou chorégraphique ; et, pour remonter au point de départ de tout ceci, si l’on placera les conditions du beau dans la curiosité excitée et satisfaite, ou dans l’âme charmée et agrandie.
« Si la curiosité est le fond même du drame, il se disposera dans ce but. Il devra être pressé et rapide ; il faudra que le spectateur passe à travers des situations successivement plus irritantes ; marchant d’abord, courant après, haletant ensuite ; si quelque chose arrêtait l’action, qu’on l’écarte ; si c’est une haute vue de morale, qu’on la rétrécisse ; un développement de caractère, qu’on l’abrège ; une leçon d’histoire, qu’on la supprime ; si ce sont des mœurs, si c’est du style, si c’est de la poésie, poussez tout cela du pied ; car l’action, une fois au galop, ne supporte pas ces retards ; la curiosité ne demande ni morale, ni caractères, ni histoire, ni mœurs, ni style, ni poésie. Sans cela, il n’existe rien de raisonnable et d’humain ; mais qu’importe ? La curiosité veut qu’on se hâte et qu’on s’occupe d’elle, que l’acteur vienne à souhait, fasse son affaire et s’en aille : voilà le drame selon la connaissance de la scène et selon la curiosité ; drame naturel, puisqu’il exploite un sentiment naturel ; mais drame sans idées, sans savoir, sans littérature ; drame où l’acteur fait plus que l’auteur, drame où le dernier est autant que le premier, M. Guilbert Pixerécourt autant que M. Dumas, le Joueur autant que Angèle ; drame enfin où l’âme ne montre qu’une face, la plus mesquine et la plus brutale, et où le poëte domine le public en le rapetissant. C’est ainsi que ceux qui veulent apprivoiser les lions étudient les éléments honteux qui se mêlent à leur noble et fière nature ; ils les domptent, mais ils les dégradent.
« Si, au contraire, l’homme est placé à la scène selon toute l’amplitude de son existence morale ; si l’on fait des caractères, des passions, des idées et du langage le fond et la matière même du drame, et de la curiosité le lien, dès lors cet art est vraiment un art, cette littérature une littérature ; ce drame devient une conception digne et superbe, qui prend le spectateur par son côté estimable et beau ; qui l’élève a la morale, à l’histoire, à la poésie, toutes régions où se complaît l’intelligence, et d’où l’on revient plus sociable et meilleur. Dans ce drame, il y a plus de réflexion et moins de sensualité ; plus d’extase et moins de frénésie ; l’acteur y
