été portées contre lui. Il y eut un moment suspension d’armes dans les deux camps ; mais la publication du Théâtre de M. Dumas en corps d’ouvrage, en 1834, réveilla les prétentions classiques qui n’étaient qu’assoupies, et une nouvelle lutte s’engagea au nom de ces dernières. Dès le 30 juillet 1834, M. Granier de Cassagnac lança dans le « Journal des Débats » un nouvel article qui prouvait assez que la trêve entre la critique classique et le réformateur dramatique était rompue. Cette pièce est trop sagement pensée pour que nous ne la reproduisions pas ici, comme l’une des meilleures appréciations littéraires qui aient été faites de l’auteur de « Henri III ».
« Après avoir laissé passer, comme une réaction naturelle et qui devait avoir son cours, les justifications, les répliques, les plaisanteries, les injures même, nous reprenons la question au point où nous l’avions quittée et nous revenons à M. Dumas. Si nous avons choisi ce moment plutôt qu’un autre, aujourd’hui plutôt qu’hier, c’est que nous voulions laisser aux passions soulevées le temps de se rasseoir ; c’est que nous voulions confier ce qui nous reste à dire à un public calme, libre et indifférent ; enfin, c’est que notre thèse présente n’a pas besoin de notre thèse passée, et que nous avons bien assez contre M. Dumas de M. Dumas lui-même. Il est singulier que ses amis, les adroits et les maladroits, les avoués et les anonymes, aient fermé les yeux à deux vérités qui sont pourtant si claires qu’il faudra les reconnaître tôt ou tard ; la première, c’est que M. Dumas ne peut avoir d’ennemis redoutables que ses propres ouvrages ; la seconde, c’est que nous avons agi en tout ceci en homme parfaitement désintéressé. En quoi donc pouvions-nous trouver du profit à réduire à sa valeur réelle le talent dramatique de M. Dumas ? Est-ce que nous avons jamais eu l’honneur d’être son collaborateur ? Est-ce qu’il nous a emprunté quelque scène ? Est-ce qu’il nous ferme l’entrée de quelque théâtre ? Non, certes ; et ce n’est pas pour le plaisir d’avoir raison que nous avions ému cette querelle : l’amour-propre d’un individu est un intérêt trop léger au milieu des intérêts de notre siècle littéraire ; et les hommes disparaissent dans la question des idées.
« Il faut dire que M. Dumas s’est montré lui-même beaucoup plus raisonnable que ses amis ; il a reconnu qu’il ne pouvait pas y avoir entre nous le moindre motif d’envie ou de haine, et que toutes choses nous étaient mutuellement si étrangères, qu’il ne savait même pas au juste quel était le nom que nous portons[1]. Il y en a qui ont pensé que c’était là une plaisanterie copiée de Molière ; nous aimons beaucoup mieux croire que M. Dumas a dit la vérité, d’autant plus que cette supposition est sans inconvénient : il importe peu, en effet, que M. Dumas défigure notre nom, et même qu’il l’ignore ; nous sommes assez jeunes l’un et l’autre, moi pour avoir le temps de le lui apprendre, lui pour avoir le temps de le retenir. Il était même dit que M. Dumas renierait en tout la défense officieuse de ses amis : ils écrivent que nous avons des motifs secrets de lui en vouloir ; il le dément ; ils écrivent que nous avons tort de l’accuser de plagiat ; il avoue.
« Chose inouïe ! en un temps où la presse publie chaque jour des accusations de toute sorte ; où l’on attaque le haut et le bas de la société ; où l’on s’empare de la vie publique et privée des hommes, nous disons qu’un auteur, que nous nommons, a copié d’autres auteurs, que nous nommons, à des volumes que nous indiquons, à des pages que nous citons ; et voilà qu’au lieu d’aller au volume indiqué, à la page citée, à l’auteur nommé, et de nous donner un démenti aussi net et aussi formel que l’accusation, on déchaîne un débordement d’articles injurieux, tous assez maladroits du reste, en ce qu’ils déclament au lieu de nier, quelques-uns plus hostiles à M. Dumas que nous-même. Eh bien, qu’est-il arrivé de tout cela ? que M. Dumas, comme le public, a trouvé ce système de défense grotesque ; qu’il a mieux aimé paraître vaniteux que ridicule, et qu’il s’est avancé lui-même au bord de la Revue des Deux-Mondes pour nous dire : vous avez raison ; vos accusations sont justes ; je ressemble à Shakespeare et à Molière, génie à part ; j’ai copié.
« M. Dumas l’a dit, et l’aveu a été clair, explicite, bruyant même. »
Ici M. Granier de Cassagnac rappelle les divers emprunts qu’il avait déjà reprochés, en 1833, à M. Alexandre Dumas pour ses pièces de Henri III, Christine, Antony, Charles VII, Richard d’Arlington, Térésa et la Tour de Nesle. M. Granier de Cassagnac n’a pas voulu étendre sa nomenclature, mais dans la partie bibliographique
- ↑ À la fin de son écrit intilulé « Comment je devins auteur dramatique, » M. Dumas, faisant allusion aux deux articles du « Journal des Débats » de 1833, signés G., dit en note : « On m’apprend que ces articles sont d’un M. Grenier ou Garnier de Cassagnac. »