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DUMAS  DUMAS

sant Davy, marquis de la Pailleterie, l’un des plus grands « livriers » de notre époque, comme eût dit l’auteur du Tableau de Paris, ou l’un des plus actifs trafiquants en littérature, comme on le dit généralement aujourd’hui ; mélodramaturge « shakespearien », auquel, par une grande inconséquence, ses admirateurs ont donné le surnom de Pierre Corneille[1], surnom dont avant M. Dumas un autre mélodramaturge avait été en possession, sans qu’on le lui contestât, Guilbert, aussi prétendu seigneur de Pixerécourt, à qui les nombreux succès dans le même genre que M. Dumas avaient fait décerner le nom de « Corneille des Boulevards». Quoi, nous dira-t-on, inscrire le nom de ce maréchal littéraire dans un livre destiné à ne signaler exclusivement que les peccadilles de nos écrivains ! M. Dumas n’est pourtant ni un auteur déguisé, ni un auteur supposé, soit ; mais n’a-t-on pas répété à satiété, à tort ou à raison, que M. Dumas n’est pas l’auteur de tous les ouvrages qui portent son nom ? Donc, si le nom de M. Dumas n’est pas un pseudonyme, ce nom, toutefois, a-t-il servi, et servirait-il encore de manteau à des enfants, soit étrangers ou nationaux, que le littérateur dont nous nous occupons ne dédaigne pas d’adopter. Mais ce sont les envieux des succès de ce grand écrivain qui émettent d’aussi fausses assertions ! — Qui sait ? Examinons, et surtout examinons avec conscience et impartialité, et peut-être trouverons-nous à lui reprocher plus d’un de ces délits que signale le frontispice de ce livre.

« Atteint par cette déplorable contagion d’industrialisme, la lèpre de l’époque, M. Dumas, on peut et on doit le dire, semble aujourd’hui voué corps et âme au culte du veau d’or. Sur l’affiche de quel théâtre, même le plus infime, dans quelle boutique, dans quelle entreprise d’épiceries littéraires n’a-t-on pas vu figurer son nom ? Il est physiquement impossible que M. Dumas écrive ou dicte tout ce qui paraît signé de lui. C’est une chose triste à contempler que cette décadence d’un homme bien doué, sous certains rapports, mais dépourvu de cette conscience de l’esprit qui s’appelle le goût, qui maintient la dignité chez l’écrivain, et dont le talent ne saurait résister longtemps encore au régime meurtrier de la littérature industrielle. »

Telle est l’opinion d’un des biographes de M. Dumas, homme de conscience et de goût[2]. Encore une fois, examinons si ce sont les critiques ou les flatteurs du maréchal qui ont tort.

Fallait-il dans notre travail ne comprendre que les ouvrages sur lesquels nous avions à faire connaître quelques-unes des particularités promises par le titre de notre livre, ou bien fallait-il faire connaître toutes les productions littéraires qui depuis 1825 portent le nom de M. Dumas ? Nous avons opté pour ce dernier parti, et pour deux raisons : la première, c’est que peu de personnes pourraient affirmer si tel livre portant le nom du fécond écrivain dont nous nous occupons ne peut être revendiqué par un collaborateur. Or, nous avons voulu que les collaborateurs de M. Dumas pussent retrouver la part anonyme qu’ils ont prise à la vie littéraire du maître. La seconde raison, c’est que, même pour les ouvrages qui ne peuvent être contestés à M. Dumas, il en est peu pour lesquels nous n’ayons pas à signaler l’abus de reproduction : c’est-à-dire que M. Dumas a utilisé ses produits autrement qu’en littérateur. L’article de M. Dumas tout entier appartient donc au plan de notre livre.

Mais un article comme celui qui concerne M. Alex. Dumas aurait , tout en étant aussi complet qu’il l’est, bien moins d’intérêt s’il ne présentait que la sèche nomenclature des productions qui, à tort ou à raison, ont paru sous son nom, que s’il était précédé d’une espèce d’introduction et accompagné de quelques notes littéraires. Nous avons donc voulu éviter la sécheresse. Comme le modeste tribunal d’un bibliographe est incompétent envers un littérateur, et surtout un littérateur de grand renom, nous avons dû avoir recours aux opinions des divers écrivains qui se sont occupés de notre dramaturge et trop fécond romancier. Non à ceux appartenant à l’école romantique, qui dès les débuts du poëte l’ayant loué outre mesure, ne lui ont pas indiqué les écueils où sa gloire devait se perdre ; mais à ceux du

    son premier roman, intitulé « Nouvelles contemporaines », parmi lesquelles il s’en trouve une, que, soit dit en passant, l’auteur a eu l’adresse de revendre jusqu’à quatre fois à ses admirateurs, intitulée « Blanche de Beaulieu, » etc., en tête de laquelle il a mis une épigraphe signée : Mémoires (inédits) du général républicain Alexandre Dumas ; mais, devenu maréchal littéraire, il a dit accorder sa naissance avec sa nouvelle dignité, très-conlestable et aussi fort contestée.

  1. Pour le distinguer d’un de ses homonymes, M. Adolphe Dumas, autre dramaturge, qu’on désigne sous le nom de Thomas Corneille.
  2. Un homme de rien (M. de Loménie). Notice sur M. Alexandre Dumas.