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RÉCITS DU LABRADOR

pour lutter contre le froid à geler un ours blanc qui sévissait alors, qu’un maigre feu de veille ; — et je les connais, les feux de veille : on y grille d’un côté pendant qu’on s’y gèle de l’autre. — Il avait dû marcher trois jours, en levant, à chaque pas, la neige qui ne cessait de s’abattre en gros flocons. Enfin il avait exposé sa peau, sa peau de curé, — une peau bien précieuse, s’il faut en croire le père Lacasse, — et cela, dans quel but ?

Une entorse, la fracture d’un membre, la perte de sa boîte d’allumettes ; c’était la mort !

Ce n’était pas le premier prêtre que je voyais s’exposer ainsi. J’en ai vu sur le champ de bataille. J’en ai vu revenir de Chine et d’Afrique tout maculés, tout glorieux des cicatrices du martyr. Mais celui-là me semblait plus fort que les autres : nul ne le voyait, nul même n’eût compris sa mort, peut-être l’eût-on blâmé, peut-être s’en fût-on moqué et l’eût-on traité de fou. Le soupçon m’en était bien venu, à moi, et, en le regardant dormir, j’en avais honte car je le connaissais.

Mais pourquoi était-il venu me rejoindre ?

Pendant que je me livrais à ces pensées, les perdrix rôties à point avaient fait place dans la poêle aux truites promises. Entou-