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suis loin de contester à Marmette ; mais je leur préfère ce que je trouve à un si haut degré dans toutes ses œuvres : l’imagination qui séduit, la vérité qui frappe et l’action qui émeut.

Cependant il sait atteindre également l’effet sans raideur et la grâce sans mièvrerie, et je trouve charmante la peinture qu’il nous fait d’une nuit floridienne :

« Sereine et tiède comme une de nos belles soirées du mois d’août, cette nuit du 12 février descend sur la ville qui, contrairement à nos cités du nord, semble plutôt s’éveiller que se laisser aller doucement au sommeil. Pendant la chaleur du jour, à part les étrangers qui errent dans les rues, promenant leur personne ennuyée, marchant sans but ou regardant d’un air distrait les curiosités étalées dans les vitrines, on aperçoit assez peu les gens de la place, les femmes surtout, qui se tiennent au frais à l’intérieur des maisons ou dans leur jardin. Mais à peine les dernières clartés du jour sont-elles éteintes que la vie renaît dans la ville jusqu’alors engourdie par l’ardeur d’un soleil du midi. Hommes et femmes sortent des habitations pour jouir de la douce fraîcheur d’une nuit floridienne. »

Puis, après cette entrée en matière pleine de désinvolture et de fraîcheur :

« Des fenêtres ouvertes du salon d’un hôtel s’échappe la mélodie langoureuse d’une valse que chante une harpe accompagnée d’un piano, et j’aperçois des danseurs enlacés qui tourbillonnent sous l’éclat des lustres. Le propriétaire de l’établissement d’à côté a retenu les services des musiciens de la garnison, qui, installés dans un coin de la cour, jettent à la brise, parfumée des senteurs de l’oranger, de l’acacia, du magnolia ou des lauriers-roses en fleurs, les accords voluptueux de la valse de Faust, pendant que, à travers les traînées de lumière multicolore que projettent les lanternes suspendues aux branches des chênes toujours verts ou au panache mouvant des palmiers, ondulent et se croisent les valseurs, dont les pieds glissent sans bruit sur les feuilles de roses ou d’orangers parsemées sur la pelouse. Du haut d’un balcon tombent les notes perlées d’une romance chantée par une voix pénétrante comme un regard de ces grands yeux noirs de créole qui m’ont fixé tantôt, près de la piazza, et dont le brûlant souvenir hante encore ma mémoire… »

N’est-ce point là de la poésie en prose charmante ? Trop charmante, peut-être ; mais au milieu de tant de fleurs, dans un