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tir… car enfin, tu n’es pas encore mariée, dis Marie, et si tu voulais bien, tu pourrais…

— Rien ! c’est comme si j’avais reçu le sacrement, puisque j’ai promis.

— Oui, tu as promis, mais cette promesse t’a été arrachée par la violence ; on peut ne pas tenir ces promesses-là.

— Tais-toi. J’ai promis librement, je savais bien ce que je faisais et j’ai voulu le faire. Ne me parle jamais de cela.

Et puis, ajouta-t-elle, les yeux fixés sur le grand crucifix attaché au mur de sa chambre, qui lui souriait, avec ses yeux d’amour et de martyre, et puis je vois bien que Dieu l’a voulu. Quelle que soit sa volonté, je veux l’adorer et m’y soumettre. Peut-être mon âme, jusqu’ici, trop faible, trop indifférente, a-t-elle besoin de la souffrance pour se former dans la sainteté ; peut-être une mission de salut m’est-elle confiée auprès de mon oncle. Quand Dieu nous trace un devoir, vois-tu, quand il nous assigne une place, nous sommes maudits si nous désertons, et la grâce, alors, peut quitter nos âmes. J’ai beaucoup réfléchi, depuis quelques jours, j’ai compris que la joie de ce monde est bien misérable et bien courte, et qu’une seule chose est importante, je veux faire tout mon devoir.

Ainsi, l’âme de Marie, par la voie de la souffrance, montait non sans quelques passagères défaillances, mais montait quand même vers les sommets ; et Fanchette gardait une sorte de colère rancunière contre cette vertu résignée qu’elle admirait, sans pouvoir tout à fait la comprendre.


V


Le rossignol chantait éperdument dans les arbres des petits jardins environnants, et les raisins en fleurs de la treille de Madeleine répandaient cette fine odeur, si pénétrante qu’elle va troubler jusqu’aux vieux vins endormis, dans les profondeurs des caves fraîches.

Une nuit du commencement de juin, limpide et légère, sans lune, lumineuse pourtant comme si, à travers cette courte nuit, le soir tardif et l’aurore matinale s’étaient souri.

Jean et Fanchette étaient assis sous les pampres. Jean venait ainsi, de très loin, seulement pour voir Fanchette un instant, pour serrer sa main, pour lire sa tendresse dans ses yeux jadis si rieurs, si tristes maintenant.

Jean avait la patience de ceux qui croient, de ceux qui aiment, et pourtant, il pressait sa fiancée de conclure leur mariage.

— Dis, quand seras-tu ma femme ? Trouves-tu que je n’ai pas assez attendu ?

— Mon pauvre ami, pardonne-moi, je suis peut-être trop exigeante, maman elle-même, me trouve déraisonnable, mais je ne peux pas me décider, quand je vois le malheur de Marie, je n’ai pas le courage d’être heureuse, car c’est nous qui sommes la cause de ce terrible consentement qu’elle a donné, Jean ! Tant qu’elle n’est pas mariée, je conserve encore de l’espoir, attends encore un peu ; il me semble que Dieu ne nous bénirait pas.

Si pourtant tu es lassé d’attendre, choisis une autre fiancée, je ne t’en voudrai pas pour ça. Tu ne peux aimer Marie comme je l’aime, ni comprendre tout ce qu’elle est pour moi.

— Tais-toi, Fanchette, tu sais bien que je n’aimerai jamais une autre que toi. Ne pleure pas, va, j’attendrai encore, j’attendrai autant de temps que tu le voudras. Souris-moi seulement, comme autrefois.

Ils demeurèrent une heure ainsi et le