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Fanchette et Madeleine, sachant sa fiancée mieux gardée par son serment qu’elle ne l’eût été par des verrous où des sentinelles.

Était-ce le séjour en prison qui avait changé Fanchette ainsi ?… Toute cette espèce de crânerie audacieuse et vivante, toute cette gaieté qui faisait son principal charme, avait disparu. Elle, autrefois si vive, marchait à présent comme courbée sous un poids trop lourd. On n’entendait plus son rire jeune s’égrener en cascade le long des chemins. Même auprès de Jean, qu’elle aimait toujours, elle paraissait triste. Il la pressait de fixer le jour de leur mariage, et Fanchette se dérobait sous des faux-fuyants.

Voyant Marie seule, elle entra tout à fait et vint s’asseoir sur une chaise basse à côté de sa sœur :

— Enfin, dit-elle, c’est du moins une consolation de pouvoir venir et causer avec toi, loin des espions.

Marie eut un sourire en lui montrant son ouvrage :

— J’avance, dit-elle, tu le vois, il faudra bien maintenant que tu donnes à Jean la joie de décider enfin quel jour vous vous marierez.

— Ne parle pas de mariage, riposta Fanchette, tu me mets en colère,

— Il faut se résigner, Fanchette.

— Oui, se résigner !… tu as la bosse de la résignation, tu n’as fait que ça toute la vie, et tu viens de finir maintenant, par te résigner en une fois au malheur de ta vie entière.

— C’est toi qui m’en fais le reproche !

Fanchette se jeta au cou de Marie et la serra contre elle en pleurant :

— Tu as raison, je devrais me souvenir que c’est pour moi… Oh ! Marie, moi qui t’ai si souvent prêché la résistance ! Moi qui aurais donné ma vie et mon amour, et l’amour de mon Jean et tout au monde pour éviter ce qui arrive, voilà maintenant que c’est moi qui en suis la cause. Comment pourrai-je me consoler, jamais ?…

— Il faut se résigner, répéta Marie, je t’assure que je m’accoutume un peu à…

— À ton oncle ! Tu t’accoutumes à la pensée d’avoir ton oncle pour mari ! ose dire que tu t’accoutumes.

Un frisson secoua Marie. Elle mit sa tête dans ses mains et pleura. Tout lui semblait triste. Le mouvement et la vie que reprenaient le vieux manoir, l’arrivée du printemps qui, chaque année était une petite fête au milieu de la mélancolie habituelle comme le gai foyer allumé la nuit de Noël dans la cabane toujours glaciale d’un pauvre, l’arrivée du printemps redoublait sa peine. Les chants des oiseaux et l’éclat des fleurs lui parlaient de félicités qu’elle ne connaîtrait plus, elle serait toujours pareille à ces tristes herbes d’hiver, grises et mortes sous le verglas, et son cher Gabach qu’elle aimait tant jadis, elle était tentée maintenant de le haïr comme une prison.

Fanchette s’était agenouillée sur le tapis et regardait Marie avec ses bons yeux tendres, gonflés de larmes.

— Ne sois pas ainsi, je t’en supplie, lui disait Marie, un bras passé autour de son cou, moi qui n’aurai jamais de joie, il me faut ta gaieté, ton bonheur. Avec cet air dolent, tu n’es plus ma Fanchette et j’ai besoin de te retrouver joyeuse et forte comme autrefois quand nous étions petites filles.

— C’est qu’autrefois, je savais toujours des moyens pour arranger tes maladresses et pour consoler tes petits chagrins, tandis qu’aujourd’hui, j’ai beau me creuser la tête, je ne trouve aucune remède… à moins, pourtant que tu ne veuilles consen-