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inexpérimentée, au milieu de la vie et des hommes ? Est-ce que cette petite main peut diriger toutes les affaires qui t’accableraient ? Fie-toi à moi, je te veux heureuse. J’ai pu te sembler méchant, je n’étais que très ferme, très décidé à tout, pour assurer ton avenir. À dater d’aujourd’hui, tu n’auras pas d’esclave plus soumis que moi. Nous rouvrirons nos portes aux vieux amis de la famille, le manoir reprendra l’aspect des jours heureux. Tu pourras même rappeler auprès de toi ta nourrice et les siens.

— Ici, dans le château ?

— Sans doute. Si tu me donnes la grande joie d’être ma femme, je pardonnerai des deux mains, je voudrai ce que tu voudras. Réfléchis et prononce.

Oh ! l’ancienne vie retrouvée ! Madeleine et Fanchette près d’elle, comme autrefois, toutes ces réalités formidables de prison, de jugement, de bagne, évanouies comme les brumes de la nuit au lever du soleil !…

— J’ai confiance en toi, insistait Raymond, comme lisant en elle à mesure et comme pressentant la victoire proche, tant de confiance même, que, si tu fais le serment d’être ma femme, non seulement j’obtiendrai l’élargissement des prisonniers, mais encore je ne craindrai pas de laisser Madeleine et Fanchette venir tout de suite auprès de toi.

Sous ce nouveau poids, la balance, dans l’esprit de Marie, oscilla, fléchit. Elle ferma les yeux, il lui semblait qu’elle mourait, mais elle prononça le serment qui liait sa vie.

— Je serai votre femme. Allez chez le juge d’instruction.

Raymond prit la main de Marie qui s’était crispée sur le bras de son fauteuil, la baisa.

— Merci, dit-il, mon enfant chérie, je vais remplir ma promesse.

Il la laissa, comme inerte et brisée.


IV


— Marie, descends un instant, je te prie, viens voir ton nouvel attelage.

— Non, cria Marie de sa chambre, je suis lasse, et je ne m’intéresse pas aux chevaux.

— Mets-toi du moins à la fenêtre du hall.

Affairé, triomphant plus déplaisant encore dans ses tentatives d’élégance, Raymond, au milieu de la cour, regardait un domestique atteler à la victoria la nouvelle paire de chevaux qu’il venait d’acheter.

Ainsi que Raymond l’avait promis à sa nièce, le château semblait renaître à la vie. On émondait le parc, où les arbres, durant tant d’années, s’étaient enchevêtrés, — une bonne spéculation d’abord, cet abatage, et qui donnerait pas mal d’argent, — on nettoyait les allées, on replantait les corbeilles. Jardinier en chef, fleuriste, le printemps faisait sa partie dans ce concert de renouveau.

Les appartements ouvraient toutes grandes, au soleil d’avril, leurs fenêtres, si longtemps closes, comme les yeux des morts, les meubles étaient époussetés, restaurés, disposés dans un nouvel ordre.

Au milieu de ce joyeux brouhaha, roulait incessamment l’énorme personne de Mme Guilleminot triomphante, curieuse, les yeux écarquillés devant les meubles précieux, les bahuts authentiques, les lourdes pièces d’argenterie, jusqu’alors ensevelis dans l’ombre, exhumés aujourd’hui par Raymond en qui s’exaltait l’ivresse d’une autorité certaine sur Marie et sur sa fortune.

Il venait maintenant de remonter ses