Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/5

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rie, rose, joufflue, avec de gros bourrelets empâtant ses poignets mignons et ses fines chevilles, n’eut bientôt plus rien à envier à sa sœur de lait.

Demeurée frêle et maladive, sa mère la voyait s’épanouir comme une jolie fleur dans les matinées ensoleillées de mai, et n’avait plus le courage d’être jalouse de la nourrice.

Dans une grande chambre claire, Madeleine avait son lit, au milieu d’un panneau, appuyé au mur par la tête.

De chaque côté du lit, un berceau.

À droite, la bercelonnette de palissandre aux vaporeux rideaux roses, avec sa courte pointe où froufroutait une dentelle retenue par des nœuds de ruban ; à gauche la corbeille d’osier, sous ses draperies de percale blanche, propre et riante à l’œil. La vaillante femme avait repoussé l’offre de se faire aider dans la nuit, et, tour à tour se penchait à droite, se penchait à gauche pour élever jusqu’à elle les deux petites affamées.

Maurice et Alix surveillèrent ces progrès quotidiens si doux et si importants au cœur des parents ; ils connurent l’ivresse du premier regard conscient qui, cessant de s’attacher aux choses mystérieuses et lointaines du monde ignoré, s’arrête avec une lueur d’intelligence, sur les yeux qui l’épient ; la surprise des premières dents, visibles à peine ; que l’on sent seulement sous le bout des doigts, doucement glissé dans cette petite bouche, mouillée comme une fleur ; la joie d’entendre les bégaiements où l’on cherche à deviner le Papa mama, verbe premier de ce langage enfantin.

Plus avancée, Fanchette gardait ses distances. Avant sa sœur, elle sut regarder et sourire, balbutier ses premiers mots ; mais bientôt comme une émulation poussa Marie à limiter : elle sourit en la voyant sourire et, quand elle l’entendit parler essaya de parler aussi.

C’était merveille de voir, au matin, ces deux mignonnes, placées côte à côte sur le grand lit de Madeleine, tels des oiseaux jasant au bord du nid, se parler en des gazouillements sans fin, en un langage particulier, obscur encore, où les grands ne savaient rien entendre tandis que, sans doute, elles se comprenaient entre elles.

— Madame ! Madame ! cria Madeleine un jour, Madame, Fanchette « s’en va seule ».

Alix, accourue, distingua le petit paquet titubant qu’était Fanchette, se dirigeant penchée en avant, vers Madeleine qui lui tendait les bras, tandis que, dans son berceau, Marie, les yeux grands ouverts, intéressée, comprenait vaguement qu’un grand fait venait de se produire.

Le premier pas de l’enfant est une liberté.

Alix vint à son tour, les bras ouverts, à la petite émancipée qui, tête en avant, s’y jeta éperdument, comme on tombe, tandis que la nourrice détournée saisissait Marie, l’enlevait, l’embrassait.

— Oh ! le pauvre amour ! tu ne sais pas encore marcher toi ! Mais vous verrez, Madame, maintenant que Fanchette marche, vous verrez que Marie « s’en ira » bientôt, vous les verrez courir et se poursuivre comme deux petits rats.

Donc, Fanchette marchait, et Marie sut bientôt marcher. Elles se suivaient, la plus jeune tenant la robe de l’aînée pour assurer ses pas mal affermis. Toutes les deux, aux jours d’été, sur la pelouse qui s’étendait devant la porte du château jouaient et se roulaient, tantôt se pelotonnant ensemble, gracieuses comme deux jeunes chats, tantôt, de leurs mains potelées, arrachant maladroitement des fleurettes qu’elles portaient à leur nez, l’air at-