Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous pouvons causer. Couvre-toi d’abord, tu vas avoir froid, et puis, reviens vite. Où est la niche de ton chien de garde ?

— Tu veux dire Mlle Guilleminot. Là, tout près, voilà sa porte.

— Ah bon, je l’entends ronfler, il me semble ; puisqu’elle dort, ça va bien, dépêche-toi seulement.

Marie s’était rapidement couverte et revenait vers la fenêtre.

— Fanchette, quel bonheur de te voir, je n’ai pu te dire un mot depuis mon arrivée ; on me garde comme une prisonnière, — elle frissonna, — comme une folle.

— C’est ta faute ; pourquoi es-tu si docile ! tu n’as jamais eu de caractère. Mais c’est trop bête, à la fin ; moi, à ta place, je sauterais par-dessus les murailles, je me révolterais, je ne me laisserais pas mener comme ça.

— Je ne peux pas, dit Marie.

— Et tu as plus de vingt ans ! Quand donc seras-tu forte ? Enfin, dans quelques mois tu seras ta maîtresse, j’espère que tu mettras tout ce monde à la porte et que tu apprendras à avoir de la volonté, à ne pas supporter cette grosse femme toujours cousue à tes jupes. Nous ne nous voyons presque jamais. J’avais besoin de te parler librement ; tu vois, j’ai trouvé le moyen.

— Un moyen terrible, Fanchette ! maintenant, en causant avec toi, je tremble, j’ai une sueur froide sur tout le corps, je crains toujours de te voir perdre l’équilibre et t’écraser en bas.

— Ne crains rien, je suis solide. Tu sais que j’ai toujours été fameuse pour grimper aux arbres. Mais ce n’est pas pour te dire ça que je suis venue ; c’est pour parler de toi et de moi. Tu ne sais pas, je suis fiancée.

— Non, je ne savais pas. Que je suis contente ! C’est un garçon de par ici ?

— Non, il est de Vicdessos. Nous nous sommes connus à la foire de Tarascon, il s’appelle Jean Savignac, il a vingt-sept ans, il est revenu du service il y a trois ans. Si tu savais comme il est bon, comme il est beau et comme nous nous aimons !

Pauvre Marie ! Être une jeune fille vivace, libre et joyeuse, avoir un fiancé, l’aimer, en être aimée, sourire à un avenir heureux ! Elle avait bien de la peine à se figurer un semblable « état d’âme » et ne savait que répéter :

— Fanchette, oh ! que je suis contente ! Quand vous mariez-vous ? Bientôt ?

— Oui, bientôt. Le moment n’est pas encore fixé ! Il faudra que tu viennes à mon mariage.

— Bien sûr ; c’est-à-dire, je ne sais si on voudra me le permettre.

Fanchette eut un mouvement d’indignation si vif qu’il faillit la précipiter ; Marie réprima un cri.

— Redescends, tu vas te tuer, redescends, je t’en conjure, mais, à propos, ton mari va t’emmener à Vicdessos.

— Non, ma mère ne veut pas se séparer de moi ; c’est Jean qui viendra chez nous s’il trouve à s’occuper ici ; cela dépend un peu de toi.

— De moi ?

Marie avait peine à comprendre qu’une chose, n’importe laquelle, put dépendre d’elle, d’elle si dépendante de tous.

— Écoute, on n’a pas encore donné la place de garde particulier à Gabach, de­puis la mort de Volusien, et je voulais te demander cette place pour Jean.

— Oh ! ce serait avec bonheur, mais que veux-tu que je fasse, ce n’est pas moi qui nommerai le garde.

— Nom de nom ! fit Fanchette qui, à l’occasion, savait rondement parler, mauvais chiffon que tu es. Ah ! ce n’est pas toi