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Marie, êtes-vous folle ?… de si grand matin, et dans la rosée, et faite comme vous voilà.

L’institutrice s’était arrachée aux douceurs de son lit et apparaissait à la porte de la chambre de Marie dans un « simple appareil » d’où toute séduction était absente.

— Oh ! nous n’y mettons pas tant de formes ici, dit Marie contrariée.

— N’importe, je vous prie de ne pas descendre avant moi ; où donc couriez-vous ?

— Eh bien, j’attendrai, dit Marie sans vouloir autrement s’expliquer, et, en dépit de ses habitudes de soumission, un peu révoltée.

En geignant l’institutrice regagna son lit. L’observation des ordres du maître ne promettait pas d’être une sinécure, s’il allait falloir veiller jour et nuit.

— Six heures, marmottait-elle en consultant sa montre, il fait grand jour, comment me rendormirai-je à présent ! Sans parler de ce bouvier qui n’en finit pas de crier après ces bœufs et de ces coqs qui s’égosillent dans la basse-cours.

Elle se pelotonna dans ses couvertures sous lesquelles saillait grotesquement sa rotondité et s’obstina à fermer étroitement ses paupières.

— J’aurai, pour sûr, la migraine tout aujourd’hui !…

Une heure plus tard, quand Louise, la grisonnante femme de chambre, entra chez elle avec le plateau du déjeuner et la bouillotte d’eau chaude, Marie, découragée de son premier essai d’indépendance, lui montra le bouquet sur la pierre, en lui indiquant par où elle devait passer pour aller le prendre et le lui apporter. Avec une mauvaise grâce très certaine, bien que dissimulée sous un air de soumission, Louise s’exécuta.

Mais, du moins, Madeleine allait venir et Fanchette, ses deux fidèles, ses deux chères, la veille à peine entrevues, celles à qui l’on disait tout, celles qui tenaient en réserve pour l’orpheline la tendresse dont elle était avide, la franchise et le courage qui devaient la vivifier.

La nourrice de Mademoiselle et sa fille demandent si Mademoiselle veut les recevoir, dit Louise, entr’ouvrant la porte du petit salon où Marie travaillait à l’aiguille auprès de Mme Guilleminot.

Marie s’élança, jetant son ouvrage :

— Je crois bien que je veux, où sont-elles ?

Doucement, Marie, asseyez-vous, je vous prie. Faites monter ces personnes, Louise.

Oh ! la domination était établie et solidement établie. Marie se rassit, découragée, et fit à ses deux amies un accueil, où la contrainte se percevait sous la tendresse.

Impassible, inébranlable comme un roc monumental dans son fauteuil, la lèvre dédaigneuse, mais l’œil acéré et l’oreille tendue, l’institutrice était là, comptant dans une sorte de murmure énervant, les points de sa tapisserie. Devant ce témoin muet, l’entretien se poursuivit banal et pénible, avec des amplifications sur ce qui n’intéressait pas, et des réticences dans les seuls sujets qui tinssent à cœur.

Marie avait apporté quelques objets qu’elle pensait devoir plaire à Madeleine et à Fanchette ; elle les leur offrit, mais comme gênée de donner et, elles, les acceptèrent, sans élan de cœur, comme confuses de les recevoir.

Quand Fanchette embrassa Marie, à la fin de cette entrevue si tristement gâtée :

— Sors avec nous, lui glissa-t-elle tout bas.

Et Marie enhardie par la présence d’alliées aussi chères, prit son chapeau de jar-