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pille, c’est-à-dire avant un an d’ici — neuf mois plus précisément, il faut que je sois son mari.

Le ton péremptoire, à lui seul, donnait congé.

— Vous pouvez compter sur mon concours, Monsieur, je ferai tout le possible.

Et tandis que la forme imposante de l’institutrice disparaissait derrière la porte refermée.

— Parbleu, se disait in petto Raymond de Lissac en haussant les épaules, parbleu promettre sans conditions ! quelque sot ! Autant eût valu payer d’avance. Non, on ne fait pas manger les chiens avant la chasse et la pâtée n’est distribuée que quand le gibier est à terre.

Raymond de Lissac qui avait géré la fortune de sa nièce en financier consommé, qui avait lésiné sur son entretien comme un avare, n’entendait en aucune façon, quand Marie aurait vingt-et-un ans, voir sortir de ses mains cette fortune conservée, augmentée par ses soins, ce beau domaine, en tout temps, l’objet de ses convoitises et la situation de propriétaire influent qui était attachée à la possession de ce domaine.

Puisque Marie s’était obstinée, bien que toujours un peu maladive, à vivre ; puisque, en dépit du tour faible et un peu passif de son caractère, elle se montrait, il en convenait, vis-à-vis de lui-même, fort sensée, et qu’il n’existait aucune bonne raison, l’heure venue de sa majorité, pour ne pas la remettre en possession de ses biens, du moins le tuteur ne pouvait supporter la pensée que tout cela s’en allât aux mains d’un mari, et le meilleur moyen qu’il eût trouvé pour écarter de lui ce désastre, c’était d’épouser lui-même sa nièce.

Ainsi la race se perpétuerait dans le domaine patrimonial, et lui, Raymond, ne se dessaisirait jamais.

Était-il moral de faire sa femme de la fille de son propre frère ? Était-il juste d’associer les vingt ans de Marie à ses quarante-cinq ans, à sa vie d’homme usé par toutes sortes d’excès ? Sa nièce pourrait-elle être heureuse avec lui, avare, ainsi qu’il l’était, autoritaire et quinteux !

Ces questions ne le préoccupaient pas, Raymond de Lissac était sans scrupules. Il savait qu’il serait le maître de Gabach, qu’il pourrait jouer dans le pays le rôle politique dès longtemps ambitionné, qu’il pourrait surtout économiser beaucoup d’or, et il se disait :

— Grâce à moi, Marie sera l’une des propriétaires les plus riches du département, et puis, cette petite a toujours eu besoin d’être dominée et conduite.

De tendresse pour la pauvre enfant dont il voulait faire sa femme, il n’en avait aucune, et cela, du reste, ne lui semblait pas nécessaire pour vivre heureux.

Jusque-là, Marie s’était montrée en tout docile à ses volontés ; habituellement, il arrivait en toutes choses à la convaincre et à l’engager, sans violence apparente, dans la voie qu’il avait choisie. Il espérait donc qu’elle l’accepterait pour mari assez volontiers, sinon avec un enthousiasme qu’il n’était pas dans sa nature d’éprouver, et qu’il ne lui demandait pas.

Mais, résolu maintenant à habiter Gabach, où sa présence devenait indispensable aux divers intérêts qui, pour lui, s’y trouvaient en jeu, et redoutant l’influence que pourraient exercer sur Marie sa nourrice, et surtout Fanchette, cette fille dévouée, hardie et forte, Raymond comprit qu’un auxiliaire lui devenait indispensable.

Il le trouva en Mme Guilleminot.

Imposante et nulle ; sous les dehors d’une excellente éducation, cupide et servile ; incapable de s’attacher, mais prête à