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cueil du vieux garde Volusien, auquel, depuis le jour mémorable de la première communion de Marie, il n’avait jamais pardonné.

— Le loup ne pardonnait rien, — mais la disparition du vieil homme n’avait rien enlevé à la fidélité qu’il mettait à garder son serment.

Qu’avait donc ce sauvage à roder, par cet après-midi de septembre, aux abords de la gare des Cabannes ? Quelque instinct, sûr comme l’instinct d’un animal, l’avait averti que Marie arriverait ce jour-là. Pour la voir, ce fauve bravait même la société des hommes.

Quand stoppa le train de Foix, quand il vit descendre d’un wagon une forme svelte vêtue de gris et voilée de blanc, son large rire, derrière le feuillage des lauriers-thyms, reparut, découvrant ses dents redoutables.

À côté de Marie marchait son oncle, maigri, un peu voûté, le nez busqué, le sceau de l’avarice sur sa face bistrée ; une inconnue les accompagnait, grande et forte, l’air imposant.

Tous les trois prirent place dans la jardinière de Jacques. Raymond de Lissac n’avait commandé aucune autre voiture, il conduisit lui-même, la lourde jument pie aux jambes poilues, la tondeuse n’ayant jamais passé que sur la partie supérieure de son corps.

Une forte ânesse, menée par Jacques, suivait la « voiture », en traînant un petit char à bancs où s’était juchée, au milieu des malles, une femme de chambre entre deux âges, à l’aspect de vieille anglaise, avec sa stature maigre, dans un long « cache-poussière », et le banal « canotier » sur­ montant des mèches grisonnantes.

Et, quand les deux véhicules, à lente allure, s’engagèrent sur la route accidentée qui, par Aulos, devait les conduire à Gabach, le Loup, de son pas tranquille, invisible dans les fourrés avoisinants, suivit Marie et, pour la voir encore descendre à son arrivée, se posta au milieu des grands arbres qui avaient poussé de toutes leurs branches, enserrant le château d’une ceinture plus inextricable que jamais.

Devant le perron, tout le petit groupe des fidèles : la volumineuse cuisinière, avec des larmes de joie sur sa figure de pleine lune, Madeleine, heureuse, mais au fond un peu inquiète, agitée de pressentiments, Fanchette, sautant comme une bergeronnette d’un endroit à l’autre. Elle avait préparé la chambre de Marie, l’avait ornée de fleurs comme une chapelle, et maintenant, écoutait le clocher d’Aulos marteler cinq coups dans l’air léger :

— Maman, Marthe, il est cinq heures, ils vont venir, il me semble que j’entends un roulement. Quelle idée il a eue, monsieur, de ne pas commander autre chose que cette vilaine jardinière, comme Marie va être secouée là-dedans !

Hélas, Madeleine essayait vainement de deviner quelles seraient désormais les « idées » de Monsieur, et ne voulait pas associer Fanchette à ses inquiétudes pour ne pas troubler son bonheur.

— Maman, ils arrivent, regarde le Loup se glisser derrière cet arbre, à droite. Comment a-t-il pu savoir ? Il est plus fin que les bêtes.

Un pli de mécontentement se creusa entre les deux sourcils de Raymond de Lissac. Il n’avait pas donné l’ordre qu’on vint l’attendre ainsi, au débotté.

— Marie, Marie, oh ! Marie !

— Ma Fanchette !

La joie du revoir passait, impétueuse, à peine la voiture arrêtée, Marie était dans les bras de sa sœur de lait, dans ceux de la nourrice, Marthe elle-même, écra-