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n’en suis que plus déterminé à n’épargner rien pour atteindre ce résultat, et, puisque — je le comprends, du reste, — vous jugez que l’installation de cette pauvre enfant auprès de vous n’est pas possible, je la prendrai à Paris avec moi.

— Sa présence va terriblement changer votre existence, à vous aussi ; c’est une responsabilité grande, une surveillance que votre genre de vie ne vous permettra guère d’exercer, moi, j’opinerais toujours pour la laisser ici.

— Non, cher Monsieur, non je ne m’y résignerai pas. La responsabilité, quoi que j’en fasse, est inéluctable pour moi ; elle sera moins lourde si Marie est sous mes yeux. C’est mon devoir de la suivre de près, seulement, j’ai tenu absolument à m’assurer de l’appui moral de votre approbation.

— Vous l’avez pleinement, mon cher enfant, vous agissez en bon parent.

Content, dans l’élasticité de sa conscience, de voir l’avenir de Marie arrangé sans sa participation, le vieux gentilhomme tendit la main à Raymond. Il ne se faisait aucune illusion sur la valeur morale de Raymond ; les grandes lignes de sa vie d’agioteur sans scrupules et de noceur sur le retour, étaient connues dans le pays de Foix. M. de Vèbre ne lui eût très probablement pas confié sa bourse, mais, dans la préoccupation égoïste qui le dominait de se débarrasser d’un soin troublant pour son âge et pour sa santé, il ne s’opposait pas à laisser dans ses mains la fille de sa propre nièce, la frêle orpheline, seul obstacle qui s’élevait entre cette grande fortune et cet homme rapace.

— Son institutrice et Madeleine, sans doute, la suivront chez vous ?

— Non, dit Raymond, carrément. Je crois utile, au contraire, à son mieux moral de modifier l’entourage, de changer complétement l’habitat ; d’autres conditions produiront des résultats meilleurs. Du reste, vous pouvez compter que je ne négligerai rien. J’ai pour ami un médecin qui fait sa spécialité des maladies mentales, des neurasthénies, c’est un aliéniste distingué. Je n’agirai que d’après ses conseils. Il choisira la personne que je compte mettre auprès de ma nièce.

— Et vous serez bon pour notre chère petite, n’est-ce pas, mon ami ? je vous le demande au nom de sa pauvre mère.

Raymond s’inclina d’un air confit qui répondait très suffisamment à la recommandation « en manière d’acquit » faite par le subrogé-tuteur. La conférence s’était d’ailleurs terminée à l’entière satisfaction des deux parties.


XIII


Mlle Estevenard était déjà partie : très poliment, mais très catégoriquement remerciée par Raymond de Lissac. Il emmenait sa nièce à Paris où il devait lui choisir une autre institutrice ; il disait parfois, comme distrait : « une gardienne ».

Avec ce regard un peu éteint qu’elle avait, surtout depuis la mort de son père, de sa voix sans timbre, toujours hésitante et basse, Marie avait annoncé à tous qu’elle suivait son oncle à Paris, librement, de son plein gré ; non sans doute qu’elle n’eût préféré demeurer dans son cher Gabach, mais elle avait, disait-elle, compris les motifs expliqués par son oncle et elle se soumettait, non pas à la violence, mais à la raison.

Elle regardait Madeleine et Fanchette préparer ses bagages.

Impuissante devant la volonté du maître, la bonne nourrice avait essayé, pour obtenir un sursis, avec quelque vague et folle espérance qu’un événement inter­-