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Au milieu des tombes modestes, se dressait le caveau où reposaient déjà plusieurs générations de Lissac. Une ceinture de cyprès le protégeait de son ombre épaisse et deux saules-pleureurs aux angles, mettaient une note pâle au milieu des arbres noirs. L’enclos était plein de chants d’oiseaux. Dans cette paix, Marie, agenouillée sur les marches de marbre du mausolée, sentit son chagrin s’atténuer tout à coup. Instinctivement craintive de la vie, l’image du calme éternel se présenta, séduisante, à son esprit.

« — Comme je serai tranquille, pensa-t-elle, quand on me couchera là, avec maman, avec mon pauvre papa ! »

Elle avait, dans son enfance maladive, connu peu de joies, l’avenir terrestre ne la flattait d’aucune espérance ; c’est pour­quoi, maintenant, elle aimait la mort, et soupirait après l’infini repos.

Et, comme figée elle-même, elle s’oubliait dans une sorte de prostration qui n’était plus la prière, qui n’était pas même l’entretient avec les âmes des absents, mais seulement l’annihilation de son être, une espèce de mort anticipée et partielle dans laquelle sa personnalité semblait s’abolir pour faire d’elle une pauvre chose inconsciente, sans souffrance et sans volonté.

Madeleine, inquiète, dut l’emmener ; elle la suivit, passive, et, tout le jour durant, garda cette attitude effacée, et, sans larmes, continua à vivre de cette vie machinale, d’où l’âme paraît absente. On eût dit la fleur délicate de cette âme flétrie irrémissiblement par le premier passage de la douleur.


XII


— Vous plaîrait-il d’accepter un cigare ? demanda Raymond de Lissac à M. de Vèbre.

Dans la grande salle à manger fraîche de Gabach, ils étaient seuls tous les deux. Marie n’avait pu assister au déjeuner après la cérémonie. Une réserve de commande d’abord avait régné à cette table d’où la mort venait de ravir celui qui en eût été le naturel amphitryon. Mais Maurice s’était si complétement tenu à l’écart de ses parents et de ses voisins que nul regret profond ne pouvait le suivre.

Peu à peu, le bruit terrestre des petites préoccupations journalières, des ambitions ou des intérêts s’était levé sur cette tombe à peine close, on avait mangé, bu, causé, oublié ce pauvre mort d’une semaine ; les convives, pour laisser fuir les heures chaudes s’étaient répandus sous les ombrages du parc ; seul, Raymond, attentif à la poursuite de ses projets, demeurait auprès du subrogé-tuteur de sa nièce, de l’oncle d’Alix de Lissac, que des rhumatismes retenaient sur son fauteuil.

— Merci, dit M. de Vèbre, depuis longtemps je ne fume plus que le cigare de goudron, mais je vous prie, que cela ne vous prive pas d’allumer le vôtre, j’en jouirai du moins par le parfum, puisqu’il ne me reste plus, ainsi qu’au César de Bazan du drame de Victor Hugo que :

« L’odeur du festin et l’ombre de l’amour ».

— En somme, tout cela n’est que fumée, dit Raymond. Il vint coller étroitement sa chaise au fauteuil du vieillard et, s’approchant de la moins paresseuse de ses deux oreilles.

— Je désire, dit-il, causer avec vous de ma pupille, au sujet de laquelle je me trouve dans un cruel embarras.

— Plaît-il ? demanda M. de Vèbre qui, pendant que Raymond avait allumé son cigare et préparé son exorde, déjà s’était légèrement assoupi.

— Oui, je suis embarrassé au sujet de ce