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sé que j’avais envie de faire un petit salon ici ?

— Vous l’aviez dit, demoiselle.

— Et tu as bien travaillé pour moi, mon garçon, comme je te remercie !

— Vous êtes contente, alors ?

— Très contente, mon cher Louiset ; il fait bon ici, j’y viendrai souvent.

Comme un cabri joyeux, bondissant, l’étrange garçon se précipita à travers bois, répétant avec son rire habituel.

— Bon, contente, la demoiselle, très contente !

Depuis ce jour, Marie, avec Mlle Estevenard et Fanchette, vint souvent se reposer sous cet ombrage. Parfois, elle apercevait Louiset, rôdant aux alentours, souvent elle trouvait un bouquet sur le siège rustique, ou bien quelques fruits sauvages, mûres, brugnons ou fraises des bois, proprement déposés sur une feuille. Elle savait bien quelle main les avait cueillis, Louiset ne se civilisait guère, mais s’il voyait Marie respirer les fleurs ou goûter aux fruits, il gambadait de plaisir, et démonstratif à sa manière, tirait les oreilles de son chien pour l’associer à sa satisfaction.

Un soir d’automne, où, dans le paysage embrumé, les chênes verts semblaient plus vieux et plus sombres encore, quand Marie vit le Loup, perdu au milieu des pousses sauvages, elle l’appela :

— Louiset, viens.

Elle prit à côté d’elle le vieux fusil du braconnier qu’elle avait fait apporter :

— Tiens, je vois que tu es sage, que tu n’oublies pas ce que tu m’as promis ; tu ne tends ni pièges aux oiseaux, ni collets aux lapins. Je vais te rendre ton fusil.

Une grande joie dilata la physionomie du pauvre Loup, cependant il semblait ne pas oser toucher à l’arme.

— Pourquoi faire ?

— Écoute, je ne veux pas que tu détruises le gibier, mais tu peux tuer les pies, ces voleuses, les vilains corbeaux qui croassent tout l’hiver en troupes noires, les canards sauvages, toutes les bêtes qui passent, les bécasses, mais pas les lièvres, ni les cailles, ni les perdrix.

Elle savait l’innocent très capable d’établir la distinction entre les animaux migrateurs et les paisibles hôtes des bois environnants.

— Bon, dit-il, je comprends.

Il s’empara du fusil, le serra contre sa blouse étroitement, tel un ami retrouvé, et toujours sobre de paroles, s’apprêtait à quitter la clairière. Fanchette l’interpella :

— Comment Loup, tu t’en vas sans seulement remercier la demoiselle ! Malhonnête que tu es.

Louiset se gratta la tête, l’air très embarrassé, les formules de politesse n’étaient pas son fait.

Enfin, de sa voix gutturale, avec un regard d’adoration, dans ses yeux qui brillaient comme deux escarboucles, il dit :

— Merci, mademoiselle, je ne tuerai que le gibier de passage avec ce fusil, je l’ai promis ; mais si quelqu’un voulait vous faire du mal… le Loup sait viser, et il ne manque jamais son coup.

— J’ai peut-être eu tort de lui rendre son fusil, dit Marie, comme il a l’air farouche.

Le loup s’en allait à grands pas dans la brousse, la jeune fille était toute frissonnante.

Prématurément grandie, un peu frêle, Marie, à cet âge où se dessine la femme, demeurait enfant, avec l’impressionnabilité, les frayeurs puériles, et cette passivité qui faisait d’elle une élève docile aux mains de Mlle Estevenard, et parfois une esclave aux volontés de Fanchette. Heureusement, celle-ci n’abusait pas de son as-