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force divine qui était en elle eut vite raison de sa frayeur.

Frémissante, elle alla vers son père :

— Papa, il faut faire grâce, aujourd’hui. Ce malheureux est inconscient mais pas mauvais, il deviendra peut-être dangereux si on n’est pas bon pour lui.

— Pourtant, ma fille, je ne peux pas supporter…

— Oh ! papa, un jour comme aujourd’hui, tu me refuserais ce que je te demande ! Laisse-moi lui parler doucement. Il me comprendra et peut-être pourrai-je obtenir qu’il promette de ne pas recommencer.

— Il ne comprendra rien.

— Papa, je t’en supplie.

Elle entourait de ses bras le cou de son père, qui, d’ailleurs, n’était pas éloigné du pardon. Des poitrines, autour d’eux, montait une rumeur de pitié.

— Eh bien ! soit, mon enfant, je ne te refuserai rien, aujourd’hui, surtout la permission de faire une œuvre charitable.

On avait relevé Louiset ; comme s’il eût deviné les intentions de Marie, son œil, moins hébété s’attachait à la robe blan­che.

— Asseyez-le, dit-elle.

Et le corps tremblant fut assis sur une chaise. Marie alla vers la table, versa du vin dans un verre et, non sans peine, domptant sa répulsion, s’approcha de Louiset et le lui tendit en lui disant très doucement :

— Bois ceci, mon ami.

Volusien grommelait un peu dans un coin de la salle, mais il s’était senti honteux de sa colère, en voyant la faiblesse de sa victime, et d’ailleurs, n’eût pas osé protester.

Très docile, le Loup prit le verre dans sa main qui tremblait, le porta à ses lèvres et but le vin.

L’effet s’en manifesta promptement ; le visage perdit cette pâleur que la terreur y avait amenée, l’œil fou reprit une lueur de raison.

— Louiset, dit Marie, de sa voix claire et douce, Louiset, me comprends-tu ?

— Oui, fit-il.

— On ne te mènera pas aux gendarmes.

— C’est vrai ?

— C’est vrai. Je te promets que tu n’iras pas en prison.

Quelque chose comme un sourire releva le coin des lèvres, au milieu de la barbe désordonnée ; les deux mains se joignirent dans une action de grâce.

— Pas en prison !

— Non, pas en prison.

Peu à peu, la parole revenait, et la pensée, une pensée rudimentaire, très simple, une pensée pourtant.

— Alors, qu’est-ce qu’on me fera ?

— On ne te fera rien.

— On ne me fera rien ? Le garde m’a attrapé et on ne me fera rien, pourquoi ?

Marie désigna son père.

— Parce que le bon monsieur te pardonne. ­ Il médita quelques instants. Dans le faible entendement de ce paria, l’idée d’un pardon spontané avait peine à pénétrer.

Enfin ses yeux se fixèrent sur Marie. Il comprenait.

— C’est vous, demoiselle, qui avez voulu que le monsieur me pardonne.

Et Marie s’apercevant que l’intelligence du pauvre innocent venait de s’éclairer d’une lueur, dit doucement :

— Oui, c’est moi, nous te pardonnons, mais il faut être sage.

— Sage ?

Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ?

— Oui il ne faut pas retourner chasser la nuit, ni tendre des pièges, ni attendre,