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se au clocher pointu gardant les maisons.

Âpre et méchante était l’après-midi du 2 février, quand, vers le soir, l’institutrice et ses deux élèves, par un chemin à peine tracé au milieu des bois, après les vêpres de la Chandeleur revenaient de l’église vers le château.

Un peu pâle, à l’ordinaire, ses cheveux noirs s’échappant du béret de drap gros bleu, Marie s’en allait, serrée dans le grand manteau qui enveloppait toute sa délicate personne.

Fanchette ne portait pas de béret. Cette coiffure masculine, adoptée par les femmes de la classe élevée, Madeleine, avec raison, l’interdisait à sa fille :

— Tu te coifferas et t’habilleras comme celles de ta condition, je ne veux entendre parler ni de béret ni de chapeau, tu porteras la coiffe de dentelle et, pour l’hiver, la cape, comme nous l’avons portée, maman et moi.

Pour l’instant, un grand tablier de toile bleu sombre, à longues manches, vêtait l’enfant des pieds au cou. À peine, en prévision du froid, avait-elle noué sur sa tête un fichu de laine brune qu’elle repoussait inconsciemment, rude aux intempéries, et laissant flotter au gré de la bise les mèches rebelles de ses cheveux roux.

De petits flocons de neige glacée se mirent à tomber, menus et piquants sous le souffle de la bise.

— Pressons-nous un peu, mes enfants, disait Mlle Estevenard, serrant contre elle sa pelisse fourrée, la nuit approche et voilà un vilain temps.

Un cri de Marie lui répondit, la petite fille se serra contre son institutrice, un peu effrayée, montrant au milieu des arbres, une forme, la forme d’un homme assez mal accoutré et portant un fusil.

— Oh ! j’ai eu peur ! dit-elle.

Fanchette s’élança vers le fourré avant que Mlle Estevenard, un peu émue, ait pu réussir à l’arrêter, mais elle revint tout de suite, elle riait haussant les épaules.

— Peureuse ! Je le pensais bien ; ce n’est que le Loup.

— Un loup ! Quel loup ? demanda l’institutrice, assez peu rassurée.

— J’avais bien reconnu le Loup, répondit sur un ton d’apologie Marie encore tremblante, mais, tu sais que je n’aime pas à le rencontrer, il a l’air féroce avec sa barbe jaune, son chapeau effiloché, ses haillons, et ce grand chien noir qui le suit tout le temps, comme un diable.

— Il n’est pas méchant, dit Fanchette.

— Qui sait ? on dit qu’il est fou.

— Oui, il a l’esprit un peu détraqué, mais il n’est pas fou tout à fait. Tu vois bien qu’il est capable de chasser, c’est même un braconnier très fin. Si tu étais lièvre, je comprendrais que tu ne sois pas très rassurée ; s’il pouvait aussi donner un mauvais coup au vieux Volusien le garde, je crois qu’il le ferait : Volusien est toujours « après lui » ; mais, pour ceux qui ne lui font rien, il n’est pas méchant. Ah ! voilà maman.

— Madeleine, dit l’institutrice, qu’est-ce que c’est que ce Loup dont parlent les enfants, et qui a effrayé Marie tout à l’heure ?

— Ah ! dit Madeleine en riant, vous avez vu le Loup. Marie est un peu trop impressionnable, Mademoiselle, le Loup n’a jamais fait de mal à personne. C’est un peu innocent ; avec de l’instruction, et cher de vingt-cinq ans, à présent, — un peu simple d’esprit. Sa mère était veuve, maladive, très pauvre ; elle habitait une cabane dans les bois. Une brave femme, d’ailleurs, elle se louait, autant qu’elle le pouvait, pour les travaux, et puis on lui faisait l’aumône. Le garçon, Louiset, était un peu innocent ; avec de l’instruction, et