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PHYLLIS

d’une voix changée. Miss Dilkes ignorait qu’il fût déjà marié quand elle prit le parti de quitter l’Amérique, reprit-il un instant après, voyant que je n’avais rien répondu à son insinuation.

Il ne me plaisait pas de découvrir mes sentiments les plus intimes aux yeux de cet homme. Je sentais toujours qu’il y avait une pensée cachée qu’il ne me disait pas.

Je cherchais à découvrir où il voulait en venir…

— Eh bien ! fis-je tout à coup, comme prenant mon parti d’une situation devenue inévitable, supposons que je consente à une séparation légale… Que ferait M. Carrington ? Croyez-vous que, lui, consentirait, si vite, à briser ma vie pour satisfaire sa passion ? L’en croyez-vous capable ?

Un éclair de joie venait de passer sur le visage de mon interlocuteur quand je prononçai le mot de séparation.

Il répondit avec son air aisé :

— Oui, je le crois. Il divorcera pour vous rendre votre liberté autant que pour lui-même.

— Me rendre ma liberté ?… Pourquoi ? Je n’en ferais rien.

Sir Francis s’était imprudemment avancé. Je le regardais dans les yeux. Il fut obligé de répondre :

— Parce qu’il croit que vous ne l’aimez pas… que vous ne l’avez jamais aimé et qu’aujourd’hui vous avez de l’aversion pour lui…

— Qui donc, repris-je d’un ton soupçonneux, lui a persuadé que je ne l’aimais pas ?… Ah ! je sais, sa cousine Blanche le lui disait sans cesse… Mais elle n’est pas près de lui. Et qui a pu lui dire que j’éprouvais de l’aversion pour lui, sinon…

Je regardais toujours sir Francis ; je le vis se troubler légèrement, puis, soudain, son teint se colora, et il fît un brusque mouvement vers moi :

— Oui, Phyllis, fit-il d’une voix précipitée, c’est moi ! Et je n’ai cru dire que la vérité. N’avez-vous pas prouvé par votre fuite l’horreur qu’il vous inspire ? Quand vous m’avez accompagné au skating malgré sa défense, n’était-ce pas dire franchement que vous préfériez être en ma compagnie plutôt qu’en la sienne ? Quand, au bal masqué, vous avez voulu rester auprès de moi le temps de cette valse qu’il vous a interdit de danser, ne montriez-vous pas clairement que vous aimiez mieux passer cette demi-heure avec moi plutôt qu’auprès de n’importe quel autre ? Ah ! Phyllis, si le divorce délie votre mariage mal assorti, comprenez-vous l’espoir qui fait battre mon cœur en cette minute ? Vous me parliez de mariage d’argent ? Mais miss Dilkes ou quelque autre