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PHYLLIS

— Oh ! pardon, mon bon père, fis-je de mon ton impétueux, aucune explication ne saurait ramener un cœur dont l’amour est perdu.

— Ah ! si c’est ainsi. Et l’excellent homme jeta sur moi un long et profond regard. A-t-il compris que c’était à mon propre cœur que je faisais allusion ?

L’espérance n’est pas faite pour moi ! Seule quoique mariée, ni jeune fille, ni femme, quelle vie désolée s’ouvre devant moi ! Je sens mon cœur se serrer à la pensée des longues années — car je n’ai pas encore vingt ans — qui devront s’écouler ainsi dans une morne solitude… Combien de fois ai-je désiré mourir pour en voir arriver le terme !

. . . . .

J’ai reçu aujourd’hui une étrange visite. J’étais en train de lire pour la seconde fois une lettre de Dora, une lettre si bonne et si tendre, que j’avais peine à croire qu’elle me vint d’elle ; elle était accompagnée d’un post-scriptum de sir George plein de chaleureuse affection. J’en étais profondément touchée.

La porte entrebâillée livra passage à Ketty qui me dit :

— Madame, il y a là un monsieur qui désire vous parler.

— Vous savez bien, Ketty, que je ne reçois personne.

— Madame, il a tellement insisté que…

À ce moment la porte fut poussée du dehors et un homme de haute stature pénétra dans la pièce.

C’était sir Francis Garlyle.

Ketty referma la porte ; nous étions seuls.

Nous restâmes tous deux immobiles, debout, à nous regarder.

Pour ma part, le temps était aboli, je me rappelais, comme si ç’eût été d’hier, notre dernière séparation et toute ma vie heureuse de Strangemore passa devant mes yeux.

Quant à lui, il m’examinait avec étonnement, constatant sans doute les changements opérés en moi.

— Je regrette de voir que vous avez été si souffrante, mistress Carrington, dit-il d’un ton ému. Si je l’avais appris plus tôt…

— Vous qui savez combien ce nom de Carrington me rappelle de cruels souvenirs, interrompis-je, ne me le faites pas entendre trop souvent. Ici je suis redevenue Phyllis Vernon.

— Combien vous avez raison ! répondit-il en reprenant son ton léger. Ainsi vous pouvez vous imaginer que vous êtes encore une jeune fille et oublier que