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PHYLLIS

lever sans garder aucune autre trace de ma congestion qu’une grande faiblesse et un extrême besoin de paresse et de solitude. Trois jours plus tard, je descendais appuyée au bras de mère qui suivait chacun de mes pas avec l’inquiétude qu’elle eût autrefois pour les premiers que je fis en ce monde.

Malgré l’orage passé sur ma frêle personne de convalescente, j’éprouvai du plaisir à rester sur une chaise longue, étendue devant la maison, avec la vue des massifs et des allées bordées de fleurs du printemps. Depuis trois semaines déjà que la maison paternelle m’a reçue, la saison s’est fort avancée. On sent dans l’air plus chaud les émanations sorties des plantes nouvelles, de la terre humide et des arbres où les bourgeons éclatent, laissant entrevoir leurs feuilles vertes minuscules.

— Browler a soigné le jardin pour que tu sois contente, me dit mère. Il a dit que Mlle Phyllis était la seule personne de la maison qui faisait cas de son travail quand elle était ici… Il y a là des crocus, ici ce seront des roses et, dans le massif du milieu, les beaux lis que tu vois…

— Oui, je les sens surtout, dis-je en aspirant l’air saturé de leur parfum, mais, ne trouvez-vous pas que nous sommes bien en vue ici ? — Je jetai un regard du côté de l’avenue qui nous faisait face. — Si quelqu’un venait…

— Sois tranquille, interrompit mère, avec une expression satisfaite, « il » ne viendra pas. Le docteur lui a parlé… Il a mis ta santé en avant pour t’interdire toute émotion et… c’est fini, il n’est plus revenu.

J’eus un profond soupir.

De soulagement, ou de regret ? Je ne sais.

Je crois qu’il y avait de l’un et de l’autre.

— Il n’a pas écrit non plus ? dis-je, faiblement.

Maman s’agita sur son fauteuil de rotin, toussa, cassa son aiguillée de laine et elle allait prendre son mouchoir, dont elle n’avait aucun besoin, quand je repris posément :

— Vous ne voulez pas mentir en me disant non, mère chérie, je le vois bien. Il a écrit. Je le lis sur votre figure, mais vous craignez que la lecture de cette lettre ne me fasse du mal. Vous vous trompez : je suis forte maintenant et je puis supporter cela. Du reste, rien ne presse, vous me la donnerez quand il vous plaira.

— Puisque tu es devenue si raisonnable, se décida à avouer mère, je puis bien te dire qu’il est arrivé une lettre à ton adresse, il y a deux jours, et que je n’ai pas osé te la donner. Personne n’y a touché, elle