Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/154

Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
PHYLLIS

— J’ai refusé de le voir chaque fois, dit maman d’un air digne. Il a supplié qu’on le laissât entrer dans ta chambre et je lui en ai interdit la porte. Non ! ajouta-t-elle en hochant la tête avec énergie, un homme qui a l’aplomb d’installer sa maîtresse à cinq kilomètres de la maison de ma fille et d’aller la voir tous les jours, au vu et au su de tout le pays, n’est pas digne d’entrer chez, d’honnêtes gens !

« Avant que tu arrives, l’autre soir, pauvre chérie, dans un état à faire pitié, on avait déjà fait ici des commérages, mais j’avais une foi si solide dans l’honneur de M. Carrington que je n’avais pas voulu y croire… jusqu’au jour de la catastrophe… Ah ! ma petite fille ! Quand je pense à ce qui aurait pu t’arriver ! Les gens du château disent que cette femme est venue pour t’assassiner.

— Non, dis-je en sanglotant, elle était venue pour me dire qu’elle me prendrait mon mari, qu’il divorcerait et qu’elle prendrait ma place dans la maison.

— L’horrible créature ! s’écria mère, hors d’elle.

— J’ai essayé d’être brave, et c’est moi qui l’ai chassée… Mais elle a beau me narguer, criai-je avec un sursaut d’énergie, je lui ai cédé la place parce que je ne voulais pas les revoir, ni l’un ni l’autre. Mais je ne lui ai pas encore cédé mon nom ! Il faut des motifs pour divorcer, il n’en a pas contre moi. Et je ne donnerai pas mon consentement. Jamais !

— D’abord ce ne serait pas chrétien, dit mère en me recouchant. Le mariage est indissoluble.

À force de me calmer et de me consoler, mère parvint à me remettre sur mes oreillers ; elle me défendit de parler, me supplia de dormir et, pour lui faire plaisir, je fermai les yeux, vaincue par la fièvre que je sentais battre dans mes veines.

Vers le soir, le médecin me fit sa visite habituelle.

Il me dit d’une voix qu’il fit aussi douce que possible :

— Allons, allons, ma petite dame, cela passera… C’est un moment de crise, tâchons de rester calme ! Rien ne dure… Vous verrez… Après la pluie le beau temps !

Je hochai la tête pour affirmer que mon chagrin à moi durerait toute ma vie et qu’il n’y aurait plus jamais ni soleil ni beau temps dans ma pauvre existence.

Je retombai sur mon lit épuisée, mais bientôt, un nom prononcé au dehors me fit dresser l’oreille.

Mère avait reconduit le docteur, elle avait cru refermer la porte ou peut-être l’avait-elle laissée tout contre à dessein pour être à portée de m’entendre si j’appelais.