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PHYLLIS

Longtemps, longtemps, je pleurai ainsi, éperdue de chagrin, sentant tout s’eftondrer de ce qui était ma vie, ne pouvant même plus penser dans l’excès de ma douleur.

Une porte claqua en bas, un pas résonna dans le hall. Mon cœur s’arrêta de battre.

Lui, Mark, le voir en un pareil moment !

Oh ! non… Rencontrer ces yeux pleins de mensonge, ayant encore la vision de ma rivale, entendre la voix trompeuse qui venait de lui parler !

C’était plus que je ne pouvais en supporter. Je me précipitai sur la porte et tournai la clé, sans bruit.

Je ne me sentais pas de force à le voir de sangfroid.

Je ne pourrais m’empêcher de lui crier ma colère et mon mépris. Dans l’état où je me trouvais, ie comprenais que ce serait une scène épouvantante qui me laisserait brisée ; mieux valait l’éviter.

Mais ce soir, demain, inévitablement, nous nous retrouverions. Rien que cette pensée me fit frissonner. Où aller, où me cacher pour fuir ? Comment lui défendre ma porte ?

Oh ! Une pensée surgit dans mon esprit surexcité et, avec ma vivacité de décision habituelle, je la mis aussitôt à exécution. Ce fut irraisonné, irréfléchi, mais prompt.

Je pris au hasard, dans ma garde-robe, un vêtement de drap sombre et une écharpe de dentelle.

Je jetai la mante sur mes épaules, par-dessus le léger déshabillé de taffetas et mousseline de soie mauve que je portais encore. Au moment de m’envelopper la tête de l’écharpe, je m’aperçus que mon peigne avait roulé à terre et que mes cheveux pendaient en désordre, brune nappe soyeuse à reflets d’or. Je tes regardai à la glace en refaisant mon lourd chignon. Comme Mark les avait aimés au début de notre mariage ! Alors, sans doute qu’il avait réussi à chasser de son esprit tout souvenir antérieur,

— Laissez-les en liberté, me disait-il, que j’aie le plaisir de les admirer.

Je pensai avec quelque orgueil à cette minute !

— Du moins, je la surpasse en cela. Je voudrais savoir comment sont ses cheveux, à elle ?

Puis je réfléchis que je n’avais jamais vu l’Américaine tête nue, rien ne prouvait qu’elle n’eùt pas aussi une chevelure opulente.

— Même pas cela… me dis-je désespérée, même pas cela !

J’étais prête. Jetant un coup d’œil autour de ma chambre, je lui dis un muet adieu ; la vue du tiroir où je tenais mon album enfermé me fit penser à