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PHYLLIS

union, pendant même notre voyage de noces, sa visite à Paris, puis plus tard les renseignements d’Amérique qu’il avait demandés et reçus… en cachette bien entendu…

Elle avait dit vrai, l’odieuse créature ! Quel que fût le sentiment par lequel elle le tint, elle le tenait bien ! Même marié a une autre qu’il avait librement choisie, il n’avait pu se défendre d’être hanté par les souvenirs de leur amour ; c’était dans sa vie un vif intérêt qu’il avait essayé de me dissimuler soigneusement.

Et en pensant qu’il était maintenant repris à tout jamais par sa folle passion, je ne doutai plus qu’il fût dégoûté, « fatigué à mourir » de ma chétive personne.

« Pas de beauté, pas d’argent, même pas bonne à montrer. » Je jetai un long regard de désespoir sur mon miroir ; je comparai mentalement mes faibles attraits à ceux dont j’avais eu la triomphale vision.

Pauvres petits traits chiffonnés, comment auraient-ils pu lutter avec les lignes sculpturales de cette fière beauté, quand toutefois une atroce expression de colère ne les déforme point, et mes yeux d’un gris bleu, doux ou vifs tour à tour, mais sans éclat, pourraient-ils se comparer aux yeux magnifiques dont la puissance a conquis lu cœur de Mark ?

Non, rien en moi, surtout ma petite taille, gracieuse, il est vrai, mais sans noblesse, ne se pouvait comparer à la haute et élégante stature de cette femme en qui tout dit qu’elle est faite pour séduire et pour commander.

Que j’étais donc peu de chose vis-à-vis d’elle et comme je comprenais qu’elle l’eût repris dès le premier regard !

Cependant cet homme est mon mari, nos vies sont liées, comment oserait-il maintenant les séparer ?

Serait-il possible qu’il en vint là où voulait le conduire l’étrangère ? Bien que je lui aie affirmé que Mark ne divorcerait point, je n’en suis plus aussi sûre qu’au premier moment.

Quand la passion s’empare d’un homme, il est bien capable d’oublier ce qu’il doit à son monde, à sa famille et à sa religion.

Quoi ! cette femme aurait le droit de prendre ma place à Strangemore et moi… moi…

Il me sembla qu’un grand vide se faisait en moi, autour de moi ; je comprimai ma poitrine où mon cœur me faisait mal, je mordis mes lèvres à les faire saigner en me jetant sur mon lit où je sanglotai convulsivement.