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PHYLLIS

— Laissez-moi, dis-je enfin en retirant mes poignets, vous me faites mal.

Elle resta devant moi, parlant avec véhémence ; tandis que je reculais de plusieurs pas…

— Je vous fais mal ! Ah ! ah ! C’est vrai, vous êtes si fragile ! Je pourrais vous briser entre mes mains et Mark m’en remercierait, sans doute.

— Mais, m’écriai-je en reprenant un peu courage, ce ne serait pas une raison pour qu’il vous épousât. Mon mari ne divorcera jamais ! Il a trop le respect de son nom, de sa religion. Pour lui le mariage est sacré, indissoluble, il…

— Et n’était-ce pas une promesse sacrée que celle qu’il m’a faite le jour de nos fiançailles ? Ah ! vous gémissez, vous pleurez ?… Et moi, n’ai-je pas pleuré quand il est parti honteusement, presque à la veille de notre mariage, en me rendant la risée de mes parents et amis ? Il n’y a eu qu’une voix dans New-York pour le flétrir. Je n’étais pas allée le chercher, c’était de son plein gré qu’il était venu à moi, il était fou d’amour, vous dis-je, il se mettait à mes genoux, et moi… et moi (sa voix eut une altération et elle ferma les yeux une seconde) s’il me l’avait demandé, je l’aurais suivi au bout du monde. L’aimez-vous ainsi ? Qu’avez-vous donc fait pour lui tourner la tête ? Quelle aberration stupide, quelle absurdité ! Mais il est assez jeune pour refaire sa vie, je saurai l’en convaincre…

— Vous êtes folle, lui criai-je, vous êtes folle ou tout ceci est une histoire inventée à plaisir.

— Vous ne me croyez pas ? Eh bien ! regardez cela : connaissez-vous cette écriture ?

Elle tira de son corsage un paquet de lettres et les jeta sur le fauteuil auquel je m’appuyais.

— Lisez-les, lisez… vous pouvez les garder… moi j’aurai votre mari… et je le tiens déjà…

— Je vous en défie bien ! criai-je les poings serrés de colère.

— Oh ! ne criez pas si fort, petite madame. Vous savez bien que si je le voulais je vous briserais comme je fais de ce vase.

Elle s’empara d’une des potiches du Japon qui se trouvait sur la cheminée et la jeta sur le parquet où elle se brisa avec un bruit terrible.

Je restai pétrifiée, car, à ce moment, les yeux de l’étrangère lançaient des éclairs ; son visage, que je ne pouvais m’empêcher de trouver beau, était contracté par une passion horrible, la colère le défigurait, et je crus qu’elle allait s’élancer sur moi…

Dans le silence qui suivit, un pas d’homme résonna sur les dalles du vestibule.