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PHYLLIS

— Où avez-vous chassé, ce matin ? demandai-je en passant dans la salle à manger.

— Je suis allé à Green-Lodge, chez mon fermier Brown, j’ai battu, en passant, les bois de Hill-Side, et suis revenu bredouille.

— Quoi, vous avez traversé tous ces bois, sans plus salir vos chaussures ! m’écriai-je en le regardant.

Il me sembla qu’il rougissait, et se troublait une seconde.

— J’ai pris d’abord par la grand’route et le temps est très sec, vous savez, répondit-il. Et vous, Phyllis, avez-vous passé une bonne matinée ?

— Oh ! excellente. J’ai fait une foule de choses. Les plants de géraniums sont arrivés. J’espère qu’ils seront jolis et nous feront cet été une belle garniture de fenêtres. Et vous, vous ne me dites rien de votre chasse ?

— J’ai rencontré Jenkins qui revenait dans sa petite auto sur la route de Carston…

— Sur la route de Carston ! Mais alors vous tourniez le dos à Green-Lodge.

— C’est que — une très légère hésitation — j’ai fait un grand crochet par la route de Carston, j’avais affaire par là.

C’était dit sur le ton bref qu’il prend quand il s’agit d’affaires personnelles auxquelles il ne veut pas me mêler, et je n’insistai point.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je viens de réfléchir longuement… douloureusement, la tête entre mes mains, pour me remémorer les incidents de cette scène avant laquelle, il me semble, je n’avais rien connu de la vie.

C’est comme si une porte se fût soudain ouverte à mes yeux sur une foule d’idées et de sentiments où mon cœur, aussi bien que mon esprit, ont beaucoup appris… beaucoup souffert…

De cet instant, je le crois, je suis devenue femme moralement.

Puisque mère me dit que ce sera peut-être un baume à mon chagrin, je vais essayer de fixer ici cet événement.

C’était le vingt-huit mars, vers trois heures de l’après-midi.

J’étais seule dans ma chambre, en train de lire, quand le valet de chambre Tynon frappa et me parla sur le ton mystérieux qu’il prend habituellement.

— Il y a, en bas, une personne qui désirerait parler à Madame.

Quelques minutes plus tard, je pénétrai dans mon boudoir.