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PHYLLIS

de félicité, confiants et paisibles, auprès d’un époux qui me devenait plus cher de jour en jour, s’attachant à moi par la profonde tendresse que je sentais… ou croyais sentir… en lui.

Quinze jours de vrai bonheur et d’aveuglement…

Oui. Ce dernier mot n’est pas trop fort, car, en réfléchissant à la lumière éclatante du dernier événement, je me rappelle ses fréquentes absences : il chassait, il avait à surveiller ses terres, à contrôler les comptes de son intendant et il m’arrivait souvent de trouver le temps long en l’attendant.

Je me souviens maintenant qu’un jour, lui si exact, si attentif à m’éviter une contrariété, rentra après l’heure du lunch.

Je ne voulus pas me mettre à table sans lui et l’attendis, dans la serre, occupée à regarder de nouveaux plants de géraniums roses.

Je l’aperçus de très loin. Il revenait sans se presser, d’un air las, absorbé, les yeux à terre, son chien derrière lui.

Quand il fut plus près, cachée derrière un laurier, je l’observai sans qu’il me vit. La terrible barre rayait son front, une expression morne de tristesse profonde était répandue sur toute sa personne.

En se rapprochant de la maison, il leva ses yeux sur les fenêtres de mon petit salon et aussitôt une physionomie toute nouvelle m’apparut, ses yeux redevinrent brillants et expressifs, son visage gai et animé. Je compris qu’il me croyait là, derrière le rideau, qu’il me cherchait.

Vite je courus au salon et refermai la porte de la serre.

Il entra par le hall ; aussitôt après je le vis paraître.

— Ah ! vous voilà, lui dis-je. Et en retard pour le lunch !

— Excusez-moi, ma chérie, fit-il en m’embrassant, je vous ai fait attendre, bien malgré moi.

— Je ne suis pas Louis XIV, roi de France, dis-je en riant, et je puis prendre patience. Mais je ne sais si vous ferez un bon déjeuner. Venez vite. Je meurs de faim.

— Comme cela ? sans enlever ma tenue de chasseur ?

— Vous êtes très bien. Laissez-moi vous examiner…

Il était très propre, en effet. À peine une légère trace de poussière sur ses gros souliers de cuir fauve et sur le bas de ses guêtres.

Cependant, je l’avais vu partir et revenir à pied… Où avait-il pu aller, pour être, après quatre heures de chasse à travers bois et champs, aussi soigné qu’au sortir de sa chambre ?