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PHYLLIS


TROISIÈME PARTIE


VIII


Un grand mois s’est écoulé et je n’ai pas eu le courage d’ouvrir cet album pour reprendre une occupation qui m’était devenue une douce et précieuse habitude.

Mère m’y a encouragée de toutes ses forces, je lui ai promis de l’essayer. Je vais relater point par point les pénibles angoisses dans lesquelles j’ai vécu — si cela peut s’appeler vivre — et tacher de conter aussi fidèlement que ma pauvre mémoire de ces affreux instants me le permettra, la crise épouvantable qui a détruit mon foyer.

C’était quelques jours après le mariage de Dora : cérémonie simple et tranquille à laquelle n’assistaient que les parents.

Il n’y eut rien de remarquable dans cette journée, sauf le fait que, pendant les inévitables toasts du déjeuner, mon père fît plusieurs fois le geste de s’essuyer les yeux avec son mouchoir.

L’heureux couple partit le soir même pour le continent.

La mariée, tout sourires, en velours mordoré et dentelles de Venise, le marié, ému et triomphant, firent leurs adieux à la ronde, à toute la famille réunie sur le seuil de notre vieille maison.

Puis, nous repartîmes pour Strangemore, moi désolée de laisser mère dans un tel isolement. Roland au régiment, Dora à l’étranger, Billy au collège et moi près d’elle, il est vrai, mais quand même absente de sa vie quotidienne.

Hélas ! Je ne savais pas que sitôt…

Mais je veux procéder par ordre afin de démêler des souvenirs aujourd’hui aussi douloureux que confus.

Mon mari et moi ayant décidé de n’accepter aucune invitation pour ce printemps, nous désirions rester cette saison, la première ensemble, chez nous, dans notre chère demeure, très heureux de mener pendant cette période une existence de châtelains campagnards.

J’ai vécu vraiment, durant une quinzaine, des jours