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PHYLLIS

vous recoucher, petite aimée, vous tremblez, allez !

Il couvrit mon front et mes cheveux de baisers fous.

Je le repoussai brusquement en criant d’un ton indigné :

— Comment osez-vous ! Oh ! laissez-moi !

Je rentrai dans ma chambre en courant et barricadai ma porte, puis je me glissai dans mon lit, toute glacée, en effet, et tremblante.

À quelle profondeur de cynisme en est-il arrivé ?

Envoyer des épîtres enflammées à une femme tandis qu’il prétend en aimer une autre !… Quelle horreur !

Tout le reste de la nuit, il me fut impossible de trouver le sommeil. Mark vint deux fois tenter d’ouvrir ma porte et m’appeler. Je ne répondis rien.

Oh ! si cette porte avait été tout ce qui nous sépare !

La colère et mon orgueil outragé me rendaient folle !

Que cette femme ose écrire à mon mari dans ma propre maison, qu’il reçoive ses lettres, les garde précieusement et s’enferme pendant des heures pour s’en délecter et y répondre, n’est-ce pas la pire des trahisons ?

À force de retourner ces pensées dans ma tête endolorie, il me vint à l’esprit que je devais à mon tour lui rendre blessure pour blessure.

Si l’amour que mon mari prétendait éprouver pour moi est mort, je puis du moins le toucher dans son honneur.

Au matin, je frottai mes joues blanches pour y ramener un peu de couleur et mordis mes lèvres presque jusqu’au sang, puis je descendis au salon.

Tous nos hôtes étaient déjà réunis, on discutait sur l’emploi du temps pour la journée.

En me voyant, Mark jeta sur moi un regard indéfinissable, il s’avança pour me parler.

Mais, sans lui laisser le temps d’approcher, je traversai toute la pièce vivement et me mis à plaisanter avec sir Francis, d’un ton animé.

Pour la première fois de ma vie, je laissai le démon de la coquetterie s’emparer de moi et me lançai à corps perdu dans un flirt extravagant.

Pourtant, par instants, dans les rares minutes où je reprenais possession de moi-même, combien je me sentais malheureuse !

Je m’aperçus bien vite du changement d’expression de Mark tandis qu’il observait mon manège et que, la figure animée et les yeux brillants, j’encourageais sir Francis dans les folies qu’il me débitait en lui donnant gaiment la réplique.