Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
PHYLLIS

L’écriture était longue, fine, élégante et ferme à la fois… Une écriture féminine, j’en jurerais.

D’ailleurs, rien que le mouvement de Mark, son geste bref, violent presque, en relevant la lettre, celle-ci la première, les autres ensuite, puis le regard inquisiteur, craintif, qui croisa le mien comme nos deux têtes se touchaient, rien que cette action étrange, sa précipitation, son trouble, m’eussent donné l’éveil si je n’avais déjà été prévenue.

Ayant rassemblé ses papiers, il marmotta des paroles confuses : il s’excusait, étant fatigué, de nous fausser compagnie, et allait se reposer dans sa chambre…

Comme il allait vers la porte :

— Eh bien ! Phyllis, me dit lady Blanche, vous n’accompagnez pas votre mari ? Il est souffrant, très pale, il a besoin de soins…

— Non, non, merci, répliqua Mark très vite. Ne vous dérangez pas, Phyllis, vous risqueriez d’attraper mon rhume.

Il sortit… et je soupirai de soulagement… pour lui !

Il est onze heures du soir, les chasseurs sont rentrés, Mark n’a pas reparu de la journée, ni dans l’après-midi, ni au dîner.

Il s’est fait excuser sous le prétexte de sa santé.

Walter, que j’ai vu dans le couloir au sortir de sa chambre, m’a dit que son maître avait pris le lit, il avait un peu de fièvre et un grand mal de tête, il défendait sa porte absolument.

— Même… même à moi ? fis-je, un peu décontenancée sous le regard de cet homme.

— Surtout à Madame, a recommandé Monsieur, parce que Madame pourrait prendre son mal.

Ce soir je suis rentrée dans ma chambre, seule, et j’ai regardé en soupirant la porte de la pièce voisine où mon mari malade est seul aussi.

Seul ? Oh ! non ! Il y est avec le souvenir de l’Américaine, avec sa lettre, qu’il a sans doute placée sous son oreiller brûlant… C’est à elle qu’il pense, c’est d’elle qu’il rêve, « elle » lui tient compagnie, une douce compagnie qui lui remémore tout un passé d’amour, tandis que je suis ici, à vingt pas de lui, dévorée de chagrin, de tristesse, de… eh bien, oui, de jalousie !

Je la hais, cette femme qui a possédé avant moi le cœur de Mark… Oh ! si je la voyais… je…

Je relis, trois jours plus tard, ces lignes que j’écrivis l’autre soir sous le coup de ma surprise et de ma colère, et je m’étonne que la vie puisse reprendre son cours après les violentes émotions des humains, comme si rien ne s’était passé.