Page:Psichari - Terres de soleil et de sommeil (1917).djvu/197

Cette page n’a pas encore été corrigée
163
terres de soleil et de sommeil

Sur la berge assez haute qui domine la plagette de sable fin où vient mourir un flot égal et perpétuel, on peut éprouver quelque vénération. Mais ici rien ne nous prolonge dans le passé et nous sommes délivrés des lourdes chaînes que nous portons avec nous jusque dans les sites les plus sauvages de nos occidents. Nous découvrons un nouveau mode d’adoration auquel nos esprits, malgré tout et inéluctablement christianisés, n’étaient pas accoutumés. Si nous vénérons Autun, ou même les granits de la Bretagne, la terre arable de la Beauce, les vergers de la Normandie, c’est que nous les situons exactement dans le présent par rapport à leur passé. Ici, nous attribuons à ce spectacle banal en apparence d’un fleuve coulant dans une plaine aride, sa valeur propre, sa religion vraie et intrinsèque. Bénéfice double : on voit mieux et on se voit mieux. Le pays se prête à toute méditation et s’adapte par sa simplicité à une sorte de rêverie païenne qui nous élève au-dessus des vapeurs confuses de l’horizon, en même temps qu’elle nous