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terres de soleil et de sommeil

traint brutalement de m’entretenir avec moi-même.

A Léré, les ressouvenirs de cette campagne me hantaient. La pensée de Sama ne m’avait pas encore quitté et je m’en gourmandais sans pouvoir me guérir, ni oublier. Le sentimentalisme vain dont j’étais victime m’irritait. N’étais-je pas la brute, le traîneur de sabre, le soudard ? Mais non ! Ces deux grands yeux où j’avais voulu lire un jour, fermés maintenant à tout jamais, ne voulaient plus me quitter…

Le lendemain de mon arrivée à Léré, je fis seller un cheval et je partis pour Binder. Binder ! Ce nom chantait doucement à ma mémoire, comme une chanson exotique que l’on apprend. Dès mon départ, je sentis presque un avertissement que je l’aimerais. Je me la figurais immense, toute blanche et orientale, avec des odeurs éparses de sérail, une vie intime et violente. En 1903, le Commandant Lenfant, allant au Tchad, était passé par là. Je me rappelais sa belle description : « Bindéré-Foulbé est une ville de six à huit mille habitants.