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jusqu’à la douleur. Et il ne comprenait guère qu’une chose à peu près. C’est que certains mouvements du cœur sont plus forts, dans l’administration de notre existence, que toute raison sociale ou familiale. De là à reconnaître que tout en lui le portait à suivre jusqu’au bout la fortune du capitaine Nangès, il n’y avait qu’un pas.

Quand Maurice écoutait Nangès, il ne comprenait pas bien. Mais il lui semblait éprouver comme un marcheur qui entre sous une grotte fraîche, après avoir quitté une route ensoleillée, ou au contraire comme un marcheur qui trouve la chaleur d’un foyer après une tempête de neige ; enfin c’était comme une transition brusque, un passage d’un ordre de choses à un autre ordre de choses. Tout cela faisait en lui de la peur, un malaise indicible, comme cette chose cruelle, et divinement douce, qui est l’approche de la grâce.

Mais un jour que le hasard d’une promenade l’avait mené à Champigny, il s’avoua que sa destinée le conduirait fatalement un jour ou l’autre auprès de Nangès. Ce jour-là, il n’eut pas le sentiment de brusque arrachement qu’il avait éprouvé la première fois. Au contraire,