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…Timoléon d’Arc ? Ce jeune officier qui rêvait jadis sur les créneaux de Vincennes, en compagnie du grand solitaire ?… Nangès sentit un frisson de froid le parcourir. Il ne s’y retrouvait plus. L’énervement de la poursuite dans les sables dansants, cette rencontre, la complicité de ce paysage stellaire, tout cela le mettait dans un état de surexcitation qui ne lui était pas coutumier. Il alluma sa pipe. « Enfin, se dit-il, songe ou réalité, c’est une belle veille de bataille. »

Il s’étendit sur une natte et écouta son hôte inattendu. Timoléon d’Arc disait :

— Je vous connais aussi. Comme le capitaine de Vigny, et comme moi, vous avez éprouvé la grande tristesse de l’armée. Comme nous, hélas ! vous en avez éprouvé les servitudes plus que les grandeurs. Et vous seriez presque mon frère, si pourtant…

Il s’arrêta. Le son grandiose de sa voix, cette mèche romantique, ce justaucorps, ce spencer… Un grand souffle d’histoire passait… La sensation qu’éprouvait Nangès, c’était celle exactement d’un homme parvenu au sommet d’un glacier et qui ressent tout à la fois l’ivresse d’un horizon vierge, le vertige de la pente