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de silence. On a envie de crier, pour voir si l’on s’entendrait soi-même, — pour vérifier, mais on se ferait peur. Il est impossible qu’un endroit au monde soit plus désert que celui-ci. La solitude est faite des millions de gens qui n’y sont pas, et qui, pourtant, font autour d’elle une misérable couronne.

Maurice n’oserait même plus se moucher. On dirait le décor d’un cinquième acte, avant que la ronde nocturne soit passée.

Pauvre enfant perdu, dont le cœur vacille ! Il est las. Des tas de choses du passé lui reviennent, mais c’est incohérent ; il ne peut enchaîner les mailles apparues de sa vie. Il voit des marches dans les glèbes, les gros souliers aux pieds, le lièvre qui culbute, la tête la première, sa petite culotte blanche en l’air, puis un dortoir dans un lycée, la salle d’études, l’odeur, l’ivresse des livres. Claire occupe le fond de la toile. Depuis toujours, elle préside à sa destinée, et elle semble le regarder sans rien dire ; elle le regarde avec ses grands yeux bons, tandis que lui, il se promène et gesticule… Le peloton, la théorie apprise la nuit dans l’escalier glacé, près du falot, la manœuvre au polygone, les sens engourdis par