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tueusement des terres qu’il ne verrait pas. Ce Français, qui tenait à sa race par tant de liens, avait pourtant la vocation de l’exil. Cela peut très bien être de la neurasthénie. Chez lui, c’était instinct de conquérant. Il n’était pas un touriste ni un amateur. Mais, jusque dans le tourisme même, il eût conservé son âme fière et naïve de conquérant.

Souvent, invité par le commandant du bord, il montait sur la haute passerelle encombrée par les deux taximètres azimutaux, le compas et le cabestan minuscule que manie avec aisance un jeune mousse. L’aimable marin faisait installer les chaises longues et, en caressant sa barbe, racontait ses croisières, tandis que l’officier de quart se promenait silencieusement d’un bord à l’autre de la passerelle. Le soleil était déjà tropical. Rien n’arrêtait la diffusion de sa lumière. Il en profitait pour s’étaler de partout en dominateur. Seuls, légers, ailés, les alizés corrigeaient son ardeur de victorieux. Vers l’Est, les pics neigeux de l’Atlas marocain scintillaient sous la lumière trop vive de midi. Nangès serait resté des heures à vivre ainsi, sans penser, entre le double infini du ciel et de la mer.