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cerveau, de toutes les fibres de mon cœur… Comprenez-moi, Labastière ; comme Français, comme citoyen, comme homme français, enfin, je ne puis, quoi qu’il m’en coûte personnellement, appeler de mes vœux une guerre et toutes les misères que fatalement elle amènera avec elle.

Les hôtes de Nangès s’étaient approchés. Les cigares s’éteignaient. Tous avaient un peu honte de penser si rarement à ces choses.

— Vous pourriez, dit Labastière, me retracer les horreurs de la guerre. Vous n’emporteriez pas ma conviction. J’estime la vôtre pleine de sens et de sagesse. Mais je ne crois pas qu’elle soit utilisable pour nous, que nous puissions nous l’approprier. Notez que je ne la condamne pas en elle-même, mais seulement pour l’usage que vous en faites. Vous aurez beau me prêcher, l’armée n’est pas la nation. La morale applicable à la nation ne l’est pas à l’armée. Les principes qui valent pour l’une ne valent pas pour l’autre. L’armée comporte en elle-même sa morale, sa loi et sa mystique. Et ce n’est ni la morale ni la mystique de la nation. Nous avons deux ordres de grandeurs absolument distincts, que vous ne pouvez superposer sans faire une opération irrégulière.