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plus réelles qui soient, devant ces seules réalités du monde moderne, les pauvres rêves de son père l’eussent-ils occupé un seul instant ? Tout conspirait encore à lui donner de la force une idée noble et mystérieuse.

Nuit étrange ! Belle d’une beauté d’artifice, d’une beauté d’orgueil et de violence et de sang. Ce bloc de béton de l’île Pelée, posé en pleine eau, avec des murs de six mètres de largeur sur le front de mer, le ronflement de ses dynamos, les sombres couloirs tapissés de fils électriques enchevêtrés et de gigantesques machines de guerre, ses monte-charges électriques et ses rails, cet îlot, tout entier sorti des mains humaines, c’est bien une avant-garde brutale dans la douceur de la nuit marine.

Sur la plate-forme supérieure où la manœuvre se continuait, un vent sinistre faisait rage, semblait dénuder l’âme, la laver des pensées médiocres. Derrière les batteries, le phare et le sémaphore étaient comme les écheveaux de la tempête. Un nuage passa devant Orion. Les grands projecteurs électriques fauchèrent l’écume de la mer hurlante. Alors les commandements se précipitèrent. Le tir commença.

Quand l’ordre fut donné de cesser le feu,