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fermentent, où déjà le rut répand son fauve et mortel parfum. Impossible de se recueillir dans ce désordre… Timothée, machinalement, lit les enseignes des petites boutiques sales où s’étalent, à la devanture, mouchoirs coloriés à l’image du Jauréguiberry et des navires de l’ancienne marine, des bérets de matelots, de la pauvre pacotille militaire. Déjà, les cabarets sont emplis de cols bleus et les gramophones font rage… À la descente des matelots… À la renommée des pommes de terre frites… Aux amis de la flotte.

Dans les salles étroites, presque toutes en contrebas et ressemblant à des caves, Timothée aperçoit de fortes humanités, des marins dont le col bleu laisse voir sur les épaules deux triangles de peau brune et hâlée, des « biffins » plus frêles mais plus nerveux, de grands artilleurs à l’air bête…

Il marche encore, et puis, soudain, c’est le silence… Un coin de ciel parsemé d’étoiles, des mâts se balançant dans une vague poussière lumineuse… C’est le quai désert où l’effort des grues a fait trêve… Un havre de silence et de mort… La rue tortueuse, la rue des soldats, elle est là, tout près, à quelques