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EN MÉMOIRE DES ÉGLISES ASSASSINÉES

comme il aurait fait d’un symbole dont il convenait qu’il fût accompagné ; ainsi les saints, aux porches des cathédrales, tiennent l’un une ancre, un autre une roue, une harpe, une faux, un gril, un cor de chasse, des pinceaux. Mais si ces attributs étaient généralement destinés à rappeler l’art dans lequel ils excellèrent de leur vivant, c’était aussi parfois l’image de l’instrument par quoi ils périrent ; puisse le volant de direction du jeune mécanicien qui me conduit rester toujours le symbole de son talent plutôt que d’être la préfiguration de son supplice ! Nous dûmes nous arrêter dans un village où je fus pendant quelques instants, pour les habitants, ce « voyageur » qui n’existait plus depuis les chemins de fer et que l’automobile a ressuscité, celui à qui la servante dans les tableaux flamands verse le coup de l’étrier, qu’on voit dans les paysages du Cuyp, s’arrêtant pour demander son chemin, comme dit Ruskin, à un passant dont l’aspect seul indique qu’il est incapable de le renseigner, et qui, dans les fables de La Fontaine, chevauche au soleil et au vent, couvert d’un chaud balandras à l’entrée de l’automne, « quand la précaution au voyageur est bonne », — ce « cavalier » qui n’existe plus guère aujourd’hui dans la réalité et que pourtant nous apercevons encore quelquefois galopant à marée basse au bord de la mer quand le soleil se couche (sorti sans doute du passé à la faveur des ombres du soir), faisant du paysage de mer que nous avons sous, les yeux, une « marine » qu’il date et qu’il signe, petit personnage qui semble ajouté par Lingelbach, Wouwermans ou Adrien Van de Velde, pour satisfaire le goût d’anecdotes et de figures des riches marchands de Harlem, amateurs de peinture, à une plage de

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