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d’Espagne. Je représentai en vain à M. le duc d’Orléans que, si grande que fût la maison d’où sortait ce prince, on ne concevait pas qu’on pût appeler infant d’Espagne qui ne l’était pas dans son pays même, où on donne seulement ce nom à l’héritier de la couronne, comme on l’a vu dans la conversation que j’eus avec Guelterio lors de mon ambassade à Madrid ; bien plus que d’infant d’Espagne à infant tout court, il n’y avait qu’un pas et que le premier servirait de chausse-pied au second. Sur quoi M. le duc d’Orléans se récria qu’on ne disait le Roi tout court que pour le Roi de France, qu’il avait été ordonné à M. le duc de Lorraine, son oncle, de ne plus se permettre de dire le Roi de France, en parlant du Roi, faute de quoi il ne sortirait oncques de Lorraine et qu’enfin si l’on dit le Pape, sans plus, c’est que tout autre nom ne serait pour lui de nul usage. Je ne pus rien répliquer à tous ces beaux raisonnements, mais je savais où la faiblesse du régent le conduirait et je me licenciai à le lui dire. On en a vu la fin et qu’il y a beau temps qu’on ne dit plus que l’infant tout court. Les envoyés du roi d’Espagne l’allèrent chercher à Paris et le menèrent à Versailles, où il fut faire sa révérence au Roi qui resta enfermé avec lui durant une grande heure, puis passa dans la galerie et le présenta, où tout le monde admira fort son esprit. Il visita près de la maison de campagne du prince de Cellamare celle du comte et de la comtesse de Beaumont où s’était déjà rendu le roi d’Angleterre. On a dit avec raison que jamais mari et femme n’avaient été faits si parfaitement l’un pour l’autre, ni pour eux leur magnifique et singulière demeure sise sur le chemin des Annonciades où