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quelque récitation dans sa maison de Neuilly, et aussi le concours tant des poètes les plus fameux que des plus honnêtes gens et de la meilleure compagnie, et de sa part, à chacun, et devant les objets de sa maison, une foule de propos, dans ce langage si particulier à lui que j’ai dit, dont chacun restait émerveillé.

Mais toute médaille a son revers. Cet homme d’un mérite si hors de pair, où le brillant ne nuisait pas au profond, cet homme, qui a pu être dit délicieux, qui se faisait écouter pendant des heures avec amusement pour les autres comme pour lui-même, car il riait fort de ce qu’il disait comme s’il avait été à la fois l’auteur et le parleur, et avec profit pour eux, cet homme avait un vice : il n’avait pas moins soif d’ennemis que d’amis. Insatiable des derniers, il était implacable aux autres, si l’on peut ainsi dire, car à quelques années de distance, c’était les mêmes dont il avait cessé d’être engoué. Il lui fallait toujours quelqu’un, sous le prétexte de la plus futile pique, à détester, à poursuivre, à persécuter, par où il était la terreur de Versailles car il ne se contraignait en rien et de sa voix qu’il avait fort haute lançait devant qui ne lui revenait pas les propos les plus griefs, les plus spirituels, les plus injustes, comme quand il cria fort distinctement devant Diane de Peydan de Brou, veuve estimée du marquis de Saint-Paul, qu’il était aussi fâcheux pour le paganisme que pour le catholicisme qu’elle s’appelât à la fois Diane et Saint-Paul. C’était de ses rapprochements de mots dont personne ne se fût avisé et qui faisaient trembler. Ayant passé sa jeunesse dans le plus grand monde, son âge mûr parmi les poètes, revenu également des uns et des