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collines, revêtues au loin des fleurs roses des arbres fruitiers, se déploient sur le bleu du ciel avec des courbes d’une délicatesse ravissante. Aux bords des rivières qui sont restées le grand charme de cette région, mais où les scieries entretiennent aujourd’hui à toute heure un bruit insupportable, le silence ne devait être troublé que par le brusque plongeon d’une de ces petites truites dont la chair assez insipide pourtant est pour le paysan picard le plus exquis des régals. Nul doute qu’en quittant la fournaise du Palais de justice, experts et juges n’eussent subi comme les autres l’éternel mirage de ces belles eaux que le soleil à midi vient vraiment diamanter. S’allonger au bord de la rivière, saluer de ses rires une barque dont le sillage raye la soie changeante des eaux, distraire quelques bribes azurées de ce gorgerin de saphir qu’est le col du paon, en poursuivre gaiement de jeunes blanchisseuses jusqu’à leur lavoir en chantant un refrain populaire[1], tremper dans la mousse du savon un pipeau taillé dans le chaume à la façon de la flûte de Pan, y regarder perler des bulles qui unissent les délicieuses couleurs de l’écharpe d’Iris et appeler cela enfiler des perles, former par-

  1. Quelques-uns de ces chants d’une délicieuse naïveté nous ont été conservés. C’est généralement une scène empruntée à la vie quotidienne que le chanteur retrace gaiement. Seuls les mots de Zizi Panpan, qui les coupent presque toujours à intervalles réguliers, ne présentent à l’esprit qu’un sens assez vague. C’était sans doute de pures indications rythmiques destinées à marquer la mesure pour une oreille qui eût été sans cela tentée de l’oublier, peut-être même simplement une exclamation admirative, poussée à la vue de l’oiseau de Junon, comme tendrait à le faire croire ces mots plusieurs fois répétés les plumes de paon, qui les suivent à peu d’intervalle.