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de l’archivolte ou sur l’ébrasement du piédestal, et en laissaient souvent tomber une boule fade, écailleuse et grise. Elle venait aplatir sur le gravier ou sur le gazon sa masse intermittente et grenue, et poissait de l’herbe qu’elle avait été celle dont abondait la pelouse et dont ne manquait pas l’allée de ce que M. de Séryeuse appelait son jardin.

Lemoine venait souvent s’y promener.

C’est là que je le vis pour la première fois. Il paraissait plutôt ajusté dans la souquenille du laquais qu’il n’était coiffé du bonnet du docteur. Le drôle pourtant prétendait l’être et en plusieurs sciences où il est plus profitable de réussir qu’il n’est souvent prudent de s’y livrer.

Il était midi quand son carrosse arriva en décrivant un cercle devant le perron. Le pavé résonna des sabots de l’attelage, un valet courut au marchepied. Dans la rue, des femmes se signèrent. La bise soufflait. Au pied de l’Hermès de marbre, l’ombre caducéenne avait pris quelque chose de fugace et de sournois. Pourchassée par le vent, elle semblait rire. Des cloches sonnèrent. Entre les volées de bronze d’un bourdon, un carillon hasarda à contretemps sa chorégraphie de cristal. Dans le jardin, une escarpolette grinçait. Des graines séchées étaient disposées sur le cadran solaire. Le soleil brillait et disparaissait tour à tour. Agatisé par sa lumière, l’Hermès du seuil s’obscurcissait plus de sa disparition qu’il n’eût fait de son absence. Successif et ambigu, le visage marmoréen vivait. Un sourire semblait allonger en forme de caducée les lèvres expiatrices. Une odeur d’osier, de pierre ponce, de cinéraire et de marqueterie s’échappait par les persiennes fermées du cabinet