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Notos. Mais ayant recouvré l’esprit, il est maintenant tourmenté d’une douleur nouvelle, car contempler ses propres maux quand personne ne les a causés que soi-même, accroît amèrement les douleurs. Depuis qu’il sait ce qui s’est passé, il se lamente en hurlements lugubres, lui qui avait coutume de dire qu’il était indigne d’un homme de pleurer. Il reste assis, immobile, hurlant, et certes il médite contre lui-même quelque noir dessein. » Mais quand l’accès est passé, pour Henri van Blarenberghe ce ne sont pas des troupeaux et des pasteurs égorgés qu’il a devant lui. La douleur ne tue pas en un instant, puisqu’il n’est pas mort en apercevant sa mère assassinée devant lui, puisqu’il n’est pas mort en entendant sa mère mourante lui dire, comme la princesse Andrée dans Tolstoï : « Henri, qu’as-tu fait de moi ! qu’as-tu fait de moi ! » « En arrivant au palier qui interrompt la course de l’escalier entre le premier et le second étages, dit le Matin, ils (les domestiques que dans ce récit, peut-être d’ailleurs inexact, on n’aperçoit jamais qu’en fuite et redescendant les escaliers quatre à quatre) virent Mme van Blarenberghe, le visage révulsé par l’épouvante, descendre deux ou trois marches en criant : « Henri ! Henri ! qu’as-tu fait ! » Puis la malheureuse, couverte de sang, leva les bras en l’air et s’abattit, la face en avant… Les domestiques épouvantés redescendirent pour chercher du secours. Peu après, quatre agents qu’on est allé chercher, forcèrent les portes verrouillées de la chambre du meurtrier. En dehors des blessures qu’il s’était faites avec son poignard, il avait tout le côté gauche du visage labouré par un coup de feu. L’œil pendait sur l’oreiller. » Ici ce n’est plus à Ajax que je pense.