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MÉLANGES

où chaque printemps ne vient plus fleurir que des tombes ? Pour des bêtes, les placer ainsi au dehors, sortant comme d’une arche de Noë gigantesque qui se serait arrêtée sur ce mont Ararat, au milieu du déluge de sang. Aux hommes on accordait davantage.

Ils entraient dans l’église, ils y prenaient leur place qu’ils gardaient après leur mort et d’où ils pouvaient continuer, comme au temps de leur vie, à suivre le divin sacrifice, soit que penchés hors de leur sépulture de marbre, ils tournent légèrement la tête du côté de l’évangile ou du côté de l’épître, pouvant apercevoir, comme à Brou, et sentir autour de leur nom l’enlacement étroit et infatigable de fleurs emblématiques et d’initiales adorées, gardant parfois jusque dans le tombeau, comme à Dijon, les couleurs éclatantes de la vie soit qu’au fond du vitrail dans leurs manteaux de pourpre, d’outre-mer ou d’azur qui emprisonne le soleil, s’en enflamme, remplissent de couleur ses rayons transparents et brusquement les délivrent, multicolores, errant sans but parmi la nef qu’ils teignent ; dans leur splendeur désorientée et paresseuse, leur palpable irréalité, ils restent les donateurs qui, à cause de cela même, avaient mérité la concession d’une prière à perpétuité. Et tous, ils veulent que l’Esprit-Saint, au moment où il descendra de l’église, reconnaisse bien les siens. Ce n’est pas seulement la reine et le prince qui portent leurs insignes, leur couronne ou leur collier de la Toison d’Or. Les changeurs se sont fait représenter, vérifiant le titre des monnaies, les pelletiers vendant leurs fourrures (voir dans l’ouvrage de M. Mâle la reproduction de ces deux vitraux), les bouchers abattant des bœufs, les chevaliers portant leur blason, les sculpteurs taillant des cha-

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