Page:Proust - Pastiches et Mélanges, 1921.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LA MORT DES CATHÉDRALES[1]

Supposons pour un instant le catholicisme éteint depuis des siècles, les traditions de son culte perdues. Seules, monuments devenus inintelligibles, d’une croyance oubliée, subsistent les cathédrales, désaffectées et muettes. Un jour, des savants arrivent à reconstituer les cérémonies qu’on y célébrait autrefois, pour lesquelles ces cathédrales avaient été construites et sans lesquelles on n’y trouvait plus qu’une lettre morte ; lors des artistes, séduits par le rêve de rendre momentanément la vie à ces grands vaisseaux qui s’étaient tus, veulent en refaire pour une heure le théâtre du drame mystérieux qui s’y déroulait, au milieu des chants et des parfums, entreprennent, en un mot, pour la messe et les cathédrales, ce que les félibres ont réalisé pour le théâtre d’Orange et les

  1. C’est sous ce titre que je fis paraître autrefois dans le Figaro une étude qui avait pour but de combattre un des articles de la loi de séparation. Cette étude est bien médiocre ; je n’en donne un court extrait que pour montrer combien, à quelques années de distance, les mots changent de sens et combien sur le chemin tournant du temps, nous ne pouvons pas apercevoir l’avenir d’une nation plus que d’une personne. Quand je parlai de la mort des Cathédrales, je craignis que la France fût transformée en une grève où de géantes conques ciselées sembleraient échouées, vidées de la vie qui les habita et n’apportant même plus à l’oreille qui se pencherait sur elles la vague rumeur d’autrefois, simples pièces de musée, glacées elles-mêmes. Dix ans ont passé, « la mort des Cathédrales », c’est la destruction de leurs pierres par les armées allemandes, non de leur esprit par une Chambre anticléricale qui ne fait plus qu’un avec nos évêques patriotes.
198