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EN MÉMOIRE DES ÉGLISES ASSASSINÉES

mèrent, avec sa croyance en la bonté de la foi, sa croyance en la nécessité du travail libre, joyeux et personnel, sans intervention de machinisme. Pour que vous vous en rendiez bien compte, le mieux est de transcrire ici une page très caractéristique de Ruskin. Il parle d’une petite figure de quelques centimètres, perdue au milieu de centaines de figures minuscules, au portail des Librairies, de la cathédrale de Rouen,

« Le compagnon est ennuyé et embarrassé dans sa malice, et sa main est appuyée fortement sur l’os de sa joue et la chair de la joue ridée au-dessous de l’œil par la pression. Le tout peut paraître terriblement rudimentaire, si on le compare à de délicates gravures ; mais, en le considérant comme devant remplir simplement un interstice de l’extérieur d’une porte de cathédrale et comme l’une quelconque de trois cents figures analogues ou plus, il témoigne de la plus noble vitalité dans l’art de l’époque.

« Nous avons un certain travail à faire pour gagner notre pain, et il doit être fait avec ardeur ; d’autre travail à faire pour notre joie, et celui-là doit être fait avec cœur ; ni l’un ni l’autre ne doivent être faits à moitié ou au moyen d’expédients, mais avec volonté ; et ce qui n’est pas digne de cet effort ne doit pas être fait du tout ; peut-être que tout ce que nous avons à faire ici-bas n’a pas d’autre objet que d’exercer le cœur et la volonté, et est en soi-même inutile ; mais en tout cas, si peu que ce soit, nous pouvons nous en dispenser si ce n’est pas digne que nous y mettions nos mains et notre cœur. Il ne sied pas à notre immortalité de recourir à des moyens qui contrastent avec son autorité, ni de souffrir qu’un instrument dont

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