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EN MÉMOIRE DES ÉGLISES ASSASSINÉES

tant qu’il vécut et qui s’appelle, depuis qu’il est mort, le Musée Gustave Moreau.

Il y a depuis longtemps un Musée John Ruskin[1]. Son catalogue semble un abrégé de tous les arts et de toutes les sciences. Des photographies de tableaux de maîtres y voisinent avec des collections de minéraux, comme dans la maison de Goethe. Comme le Musée Ruskin, l’œuvre de Ruskin est universelle. Il chercha la vérité, il trouva la beauté jusque dans les tableaux chronologiques et dans les lois sociales. Mais les logiciens ayant donné des « Beaux Arts » une définition qui exclut aussi bien la minéralogie que l’économie politique, c’est seulement de la partie de l’œuvre de Ruskin qui concerne les « Beaux Arts » tels qu’on les entend généralement, de Ruskin esthéticien et critique d’art que j’aurai à parler ici.

On a d’abord dit qu’il était réaliste. Et, en effet, il a souvent répété que l’artiste devait s’attacher à la pure imitation de la nature, « sans rien rejeter, sans rien mépriser, sans rien choisir ».

Mais on a dit aussi qu’il était intellectualiste parce qu’il a écrit que le meilleur tableau était celui qui renfermait les pensées les plus hautes. Parlant du groupe d’enfants qui, au premier plan de la Construction de Carthage de Turner, s’amusent à faire voguer des petits bateaux, il concluait : « Le choix exquis de cet épisode, comme moyen d’indiquer le génie maritime d’où devait sortir la grandeur future de la nouvelle cité, est une pensée qui n’eût rien perdu à être écrite, qui n’a rien à faire avec les technicismes de l’art.

  1. À Sheffield.
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